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« Avant-hier, attaqué Fritz à 4 à 30 à 10 mètres : tué le passager et peut-être le reste, empêché de voir la suite par un combat à 4 à 1/2 : le Boche file.

« À 7 h 30, attaqué un Aviatik, emporté par l’élan, passé à 50 centimètres ; passager « couic, » l’appareil dégringole et redresse à 50 mètres du sol.

« À 7 h 35, attaqué un L. V. G. à 15 mètres en plein champ de tir, une balle dans les doigts me fait lâcher la détente ; réservoir crevé, bon atterrissage à 2 kilomètres des tranchées entre deux trous d’obus. Inventaire du taxi : une balle en pleine figure de ma Vickers ; une balle perforante dans le moteur ; le noyau d’acier le traverse ainsi que le réservoir d’huile, celui d’essence, le coffre à cartouches, mon gant… et reste fiché dans l’index de celui-ci : résultat, on dirait que je me suis un peu pincé le doigt dans une porte ; pas même écorché, seul le haut de l’ongle un peu noir. Sur le moment j’ai cru que j’avais deux doigts fusillés. Je continue l’inventaire : une balle dans le réservoir, direction mon poumon gauche ; elle a traversé 4 millimètres de cuivre et a eu le bon esprit de s’arrêter, on se demande d’ailleurs comment.

« Une balle au ras de mon dossier, une dans le gouvernail et une douzaine dans les ailes. On a démonté le taxi à deux heures du matin sous les marmites, à coups de hache. À l’atterrissage, 86 coups de 105, 130 et 150, pour des prunes. Ils paieront la note.

« Pour commencer, la Tour a son quatrième officiel.

« Vous embrasse à tour de bras.

« Georges. »

« P.-S. — On ne pourra plus dire que je ne suis pas solide, j’arrête pile les balles blindées avec le bout de mon doigt. »


Est-ce une lettre ? Au début, c’est un bulletin de victoire : deux avions pour cinq balles, plus un passager : couic. Après, c’est un récit de la légende dorée, — la légende dorée de l’aviation : il arrête les balles ennemies avec ses doigts. Roland devait écrire de ce style-là à la belle Aude : Rencontré trois Sarrasins, Durandal en a fendu deux, le troisième m’ajustait avec son arc, mais sa flèche s’est brisée sur la corde… Le petit Paul Bailly a décidément raison : « Les exploits de Guynemer ne