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écrié l’officier qui prenait la relève. Attends un peu que Jean Gouin s’en mêle et tu vas voir !

De fait, les premières nuits, tout le monde s’y mit d’arrache-pied. On ne dormit guère, ces nuits-là. Les marins, qui s’étaient piqués d’amour-propre, voulaient montrer aux « vieux frères » comment on fabrique une tranchée modèle, avec caillebotis, puisard, rigole d’écoulement, plancher de rondins, etc. les territoriaux, doucement goguenards, souriaient sans rien dire dans leur barbe de patriarches. Au matin, il est vrai, les tranchées étaient à peu près nettoyées, les banquettes et les parapets rétablis. Mais le soir, quand les marins prenaient la relève, tout était à recommencer : l’argile s’était effritée par morceaux sous l’action de la pluie et du bombardement ; l’eau, sourdant sous les pieds, avait rempli les boyaux. Pour l’étancher complètement, il eût fallu rétablir les drains de briques qui la conduisaient aux canaux d’évacuation et que les bêches des deux adversaires avaient crevés presque partout. Le réseau capillaire rompu, l’eau s’en échappait, remontait à la surface, « sang incolore » de cette terre où elle distribuait autrefois la vie et qu’elle noyait maintenant sous sa nappe léthargique[1]. Un plus long effort pour combattre sa progression n’eût servi de rien et il fallait se résigner, comme les « vieux frères, » à passer la nuit dans la vase jusqu’aux mollets et quelquefois jusqu’aux hanches.

Du moins, l’ennemi se montrait-il assez accommodant. Le secteur de Lombaertzyde était relativement calme à cette époque, comme celui de Saint-Georges, qui le prolongeait vers le Sud. Seules, quelques fusées troublaient de temps à autre la tranquillité nocturne. Elles éclairaient des étendues d’herbes sèches et d’eaux mortes, sans accidens, sans personnages humains, une sorte de grande pampa mouillée d’où émergeaient quelques toits de fermes pareilles à des arches flottantes…

Mais, si l’avant demeurait à peu près tranquille, l’ennemi de plus en plus recherchait nos lignes de communications et nos cantonnemens ; Oost-Dunkerque était bombardé presque chaque jour. L’église, les caves mêmes n’offraient plus aucune sécurité et le commandant de Jonquières décida d’utiliser une partie des heures consacrées aux exercices pour faire creuser

  1. Carnet de route d’un officier d’Alpins.