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avait le bras gauche broyé, sept éclats d’obus dans la hanche[1]. En quatre mois, c’était le deuxième général que perdait la 81e division territoriale.

On était au 8 décembre et, ce jour-là justement, le général, qui estimait que le bataillon des marins avait largement eu le temps, au cours des deux semaines écoulées, de se reformer et de s’entraîner, avait donné l’ordre au commandant de Jonquières d’envoyer une compagnie dans les tranchées avancées de Nieuport vers Lombaertzyde. Dorénavant une compagnie de marins prendrait chaque nuit ces tranchées, ou plutôt le boyau attenant[2], en soutien éventuel du bataillon de territoriaux qui les occupait. Nous y avions déjà une section de mitrailleuses, sous les ordres de l’enseigne Gueyraud. On se mettait en route à la nuit tombante, vers quatre heures du soir, et l’on revenait au matin. À partir du 12 décembre, en outre, deux autres compagnies furent placées en cantonnement d’alerte à Nieuport-Bains et à Oost-Dunkerque-Bains, « en vue d’assurer la surveillance de la plage, » où l’on craignait toujours un débarquement par radeaux. Ce dernier service n’était pas bien dur : la dune offrait une couche moelleuse aux veilleurs ; les tranchées y étaient parfaitement étanches et, sauf les nuits de tempête où le sable cinglait les figures et enrayait le mécanisme des fusils, on s’y trouvait, dit un marin, « presque aussi bien que dans son hamac. »

Tout autre était le service des tranchées de Lombaertzyde, creusées dans la région des polders. Là, l’ancien supplice recommençait : nos hommes retrouvaient cette mer de boue qui les avait tant fait souffrir à Dixmude et où devaient définitivement s’enlizer leurs malheureux camarades restés à Steenstraete. Le fond des tranchées était complètement inondé ; les parapets s’éboulaient sous la pluie ; les banquettes de tir « fondaient comme du savon ; » les gourbis croulaient sur les hommes. On en accusa d’abord la paresse des territoriaux.

— Qu’est-ce qui m’a fichu des tranchées pareilles ? s’était

  1. Après de longs mois de souffrance, le général Trumelet-Faber, qu’on avait dû amputer de son bras, mourut des suites de ses blessures à l’hôpital d’Écosse, 7, rue de la Chaise, où il avait été transporté. Il avait été fait grand-officier de la Légion d’honneur, le 8 décembre 1914.
  2. « Une seule compagnie était de service à la fois, baïonnette au canon, dans un boyau situé derrière les tranchées de 1re ligne, eau et boue jusqu’aux genoux. » Journal du docteur L. G…