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« pareil à ce que vous me faites dire dans votre numéro du 3, « sur les manuscrits de M. de Vigny et leur prix excessif. Jamais « je n’ai rien entendu dire à personne, ni rien dit moi-même, « qui pût justifier les paroles que vous me prêtez, et qui « seraient d’une révoltante injustice.

« Voyez vous-même, et jugez ce qui sera le plus convenable ; je ne conserverai de cette bagatelle qu’un vif regret de la contrariété qu’elle cause à M. Rousset. Veuillez le lui témoigner, monsieur, et agréer l’assurance de ma haute considération.

« ALFRED DE VIGNY[1]. »


Vigny, travaillant la nuit, sortait à l’aube. Lorsqu’il arrivait à la Revue dans son manteau romantique, ce solitaire faisait sensation, car il fut « un des derniers à porter cette romanesque draperie. » Il y a, sur ce manteau, un mot charmant de Paul de Molènes : « M. de Vigny porte un manteau pour cacher ses ailes… »

Au sujet des relations de F. Buloz et du poète, on a écrit : « Ces deux natures, en dépit de leurs incompatibilités de surface, finissaient toujours par s’entendre… grâce à la médiation de Planche. » J’estime pour ma part que les brusqueries de Planche ne rapprochaient pas le directeur de la Revue de Vigny, bien au contraire. Que l’on en juge ! Au lendemain de la représentation de Chatterton, Planche malmena quelque peu la pièce[2]. L’auteur se froissa de nouveau, rendant F. Buloz responsable de l’opinion du critique ; pourtant dans le numéro même de la Revue où parut l’article de Planche, le directeur avait inséré une note élogieuse sur le drame ; elle se termine ainsi : « Nous faisons des vœux pour que la popularité de Chatterton réfute glorieusement l’opinion individuelle de notre collaborateur ; tout assure, du reste, une brillante carrière au drame touchant de M. Alfred de Vigny. A l’auteur de Stello la gloire d’avoir tenté le premier une réaction contre le drame frénétique et le drame à spectacle, et cette tentative, nous l’espérons, portera ses fruits. »

Cette note ne plut pas à Vigny, et il écrivit à F. Buloz le

  1. Le 18 mai 1833, inédite.
  2. Voir la Revue du 15 février 1835.