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que Buloz n’était guère disposé à accorder. « Il avait promis seulement, dit encore Sainte-Beuve à Hugo, un mot dans la chronique… » et il ajoute irrévérencieusement : « Je suis arrivé hier soir à la Revue lorsqu’il était en train de fabriquer cette note, et j’en ai raccommodé la phrase, de peur que sa plume n’allât trop à droite ou à gauche. Cela lui sauvera peut-être une brouille qu’il redoute fort. Quant au gentilhomme, il est tué moralement pour moi[1]. »

Voici la note qui fut insérée dans la chronique du 15 novembre 1832 : « À ce propos, puisque l’occasion s’en présente, faisons remarquer que lorsque, récemment, il est échappé à la Revue de parler des écrivains qui relèvent d’un autre grand écrivain, il va sans dire que les maîtres en tout genre n’entraient pas dans notre pensée. Le grand poète dont il s’agissait serait le premier, nous en sommes certain, à repousser une telle prétention. Les Lamartine, les Vigny, les Mérimée, les Barbier, les Dumas, ne relèvent que de leur propre direction ; leur pensée n’appartient qu’à eux, ainsi que l’instrument par lequel ils s’expriment. » — Vigny est-il satisfait ? Nullement. Il se montre, au contraire, « plus offensé de la rectification que du premier jugement… »

Ce différend entre Hugo et Vigny, provoqué par la première note louangeuse de Sainte-Beuve (celle du 30 octobre 1832), fit quelque bruit dans le petit cercle littéraire du temps ; depuis lors, bien des écrivains l’ont mentionné : les uns pour accabler Vigny sous le poids de sa susceptibilité orgueilleuse, les autres pour confondre le naïf enthousiasme de Sainte-Beuve. Mais qu’auraient dit les uns et les autres, s’ils avaient su que cette note, dictée par Victor Hugo en personne, avait été envoyée par lui-même à la Revue ? Voici le passage d’une lettre de F. Buloz à George Sand, très postérieure à ces événemens, et qui les confirme : « Laissez-moi encore, à ce propos, vous citer un fait qui m’est personnel. En 1832, Victor Hugo m’envoya lui-même une note dictée par lui, et que vous pouvez retrouver dans la Revue de ce temps, 1831 ou 1832. J’étais bien novice alors, et bien admirateur aussi ; j’insérai donc cette note qui commençait ainsi : « Tout relève de Victor Hugo, drame, « roman, poésie, etc. » J’ai encore présent à la mémoire l’orage

  1. Sainte-Beuve à Hugo, 14 novembre 1832.