Chine et le Japon, dans les âges de Ferdouci, de Koung-Fou-Tseu que
notre mollesse latine appelle Confucius, Judith Gautier est revenue
chez nous, chez elle. Et elle, qui avait dépensé un zèle un peu farouche
à se dépayser, elle est rentrée à la maison. Elle a écrit ces deux
volumes d’intimité exquise, Le Collier des jours et Le Second rang du collier, les souvenirs de son enfance. Était-ce la peine d’aller ailleurs,
d’aller si loin, pour retourner enfin, tardivement, aux plus familières
pensées ? Mais oui ! Elle a suivi le même chemin que font tous les
écrivains et les poètes de l’exotisme. Leur très long voyage n’est pas
simplement un caprice, une vanité. Ce sont, pour la plupart, des
artistes qui ont une sensibilité très vite alarmée, au point que la réalité au milieu de laquelle ils se trouvent ne leur est pas un objet de
curieuse étude, mais de passion. Il leur faut s’écarter, se détacher.
L’art n’est pas de vivre, mais de regarder et de peindre. Dans la réalité quotidienne, ils ne sauraient que vivre. Ensuite, quand ils se sont
dépaysés, ils peuvent revenir : ce sont les pays étranges qui ont leur
familiarité ; le paysage naguère familier leur est désormais étrange
assez pour qu’ils le regardent avec un émoi dont ils sont maîtres et le
peignent de couleurs vraies et attentives. La petite fille qu’on voit dans
Le Collier des jours et dans Le Second rang du collier, si ardente,
jalouse de soi, prompte à passer d’un joyeux délire au désespoir, et
fière, cachant ses larmes, domptant sa tendresse, était destinée à cette
aventure. En outre, elle avait connu, toute enfant, M. Baudelaire et
observé les ingénieux déguisements de sa mélancolie. Toute enfant,
elle avait adoré son père, le grand poète aux prises avec une destinée
rude et qui s’en divertissait par le moyen d’un art différent de sa vie.
Elle avait lu en brouillons le Roman de la Momie et Le capitaine Fracasse, dans les années où elle participait aux chagrins et aux soucis
de Théophile Gautier. Maintenant, elle ne craint plus son trouble. Ce
qu’elle raconte, et ce qui était ses journées, est du passé. En son
absence, les choses naguère toutes proches et trop touchantes ont pris
leur distance d’éternité. Voici un autre Ko-Li-Tsin, et qu’elle ose
nommer du nom de son père ; voici une petite fille, la même qu’autrefois, toujours décidée à ce qu’on ne l’ait jamais vue pleurante et qui
sait à présent l’art d’une tristesse plus pathétique et plus délicieuse
que les pleurs.
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André Beaunier.