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tant de vitesse tant de pensées joyeuses. malignes ou bizarres qu’ils faisaient songer au miroitement du soleil sur l’eau ; et sa bouche, bien faite, toujours entr’ouverte pour quelque sourire, laissait voir deux rangées de jolies dents blanches, gaies de luire au grand jour et de mêler leurs paillettes claires aux étincelles du regard… » Délicat, fluet, vif et si leste qu’avec la même facilité il fût monté aux arbres comme un singe, il eût franchi les rivières comme un chat sauvage, il eût de ses doigts fins que les ongles allongent « tissé des toiles d’araignées ou brodé un poème sur la corolle d’une fleur de pêcher. » Toutes ses pensées deviennent des poèmes, de courts poèmes où chaque mot semble une touche de couleur posée vite et juste. Or, un jour que le poète Ko-Li-Tsin est à rêver au bord d’un champ, le soleil dessine l’ombre du laboureur et cette ombre soudain prend la forme d’un dragon. C’est le signe que, plus tard, ce laboureur tiendra dans sa main le sceptre de jade et sera l’Empereur : il le sera, mais à la condition que le miracle ne soit pas révélé par ceux qui l’ont vu. L’ombre d’un paysan tracée nettement sur le sol ; et Ko-Li-Tsin aussitôt denenl un partisan. Le hasard d’un rayon de soleil lui a fourni ce qui lui manquait pour ne badiner pas uniquement : une coviction. Il badinera encore, mais autour d’une certitude, et au service du laboureur il aura le plus bel entrain. Certes, il affrontera la mort ; ce n’est rien : les supplices ! Tandis que les bourreaux multiplieront à son propos leurs inventions les plus terribles, il gardera son âme légère et décidée, son âme plaisante, plus brillante et plus solide aussi que le diamant. Puis, au moment de mourir, il pourrait ne pas mourir : l’Empereur de la Chine, — le vrai Empereur, celui que le favori du soleil n’a pas réussi à supplanter, — lui offre sa grâce. Il la refuse. Une jeune fille jolie le conjure de ne pas mourir : il veut mourir. Et pourquoi ? Ses amis l’attendent, ses amis qu’on a tués avant lui : « Je tarde beaucoup ; il faudra que je me hâte pour les rejoindre !… » Un peu de nonchalance à mourir le ferait manquer à l’usage de la courtoisie.

Le lettré Ko-Li-Tsin est un héros. Je ne sais si Judith Gautier souhaitait que l’on rapprochât de Ko-Li-Tsin le héros un autre personnage de son roman, et non pas un vain lettré cette fois, mais un philosophe et qui s’appelle Aristatalis. On le rencontre dans Iskender : et, comme Iskender est Alexandre le Grand, le philosophe Aristatalis est, auprès de lui, le grand Aristote, le père de la philosophie, celui qu’Alexandre nomme son maître et que tous les siècles ont depuis lors nommé le Maître. Judith Gautier le donne à Iskender un peu de la