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degré. Son sens de la composition décorative, de la ligne sobre et de la lumière méridionale révèle une préférence pour les formes d’art gréco-latines, préférence qu’il a maintes fois exprimée[1]. Nous savons qu’il a beaucoup lu les classiques français, italiens et espagnols. Sophocle, Dante, l’Arioste et Corneille sont, avec Schiller, ses poètes préférés. Et ce n’est pas un hasard si les héros qu’il glorifie se nomment Prométhée, Thémistocle, Thésée, Héraklès, Apollon, et non pas Siegfried ou Wotan. Plus latin que germain par les qualités plastiques de son imagination, plus peintre que musicien, descriptif et conteur plutôt que lyrique, rationaliste plutôt que mystique, Spitteler a certes de quoi nous toucher et nous séduire.

Mais par-dessus tout, il est suisse, par son caractère et par son talent, par son indépendance montagnarde, par ce bon sens démocratique qui refuse le respect aux « grandeurs d’établissement » dont parle Pascal. Il reste bâlois par son humanisme, par sa communion vivante à l’âme de l’antiquité païenne, par son humour un peu âpre aussi, par sa verve comique et drue. Il doit à sa terre natale la substance même dont ses visions sont faites : souvenirs précis d’alpiniste et d’entomologiste, impressions innombrables de paysages, d’atmosphères, d’heures changeantes, de reflets nuancés[2]. Avouons qu’il subsiste chez lui un peu trop de zèle enseignant et une certaine incapacité à trouver la mélodie chantante et variée. Cette réserve faite, il lui reste encore tant de gracieuses et puissantes qualités d’imagination, une si riche faculté d’invention, une si claire pénétration psychologique que des lecteurs français peuvent et doivent se plaire à ces œuvres. On a traduit, dans ces derniers temps, la plupart des volumes de prose de Spitteler[3]. Cela est bien. Mais il faudra toujours lire dans le texte les Papillons et les Ballades, le Prométhée et le Printemps Olympien. On peut trouver, même

  1. Voir divers chapitres des Vérités souriantes.
  2. « Le cerisier d’Aphrodite, le noyer de Pandore, l’herbe de Baldur, le blé de la Dame de Midi ont poussé dans les champs de mon grand’père. Ils ont bien supporté d’être transplantés jusque sur l’Olympe… Chaque fois que, dans mes œuvres, il est question d’une maison en construction, j’en ai emprunté la tonalité sentimentale à la construction de la maison de mon père… le sapin enrubanné du faîtage, je l’ai planté sur le palais de Zeus. » (Meine frühesten Erlebnisse, p. 43, 67 et passim.)
  3. Récits et légendes (Friedli der Kolderi. Chez Fischbacher, 1892.) Le lieutenant Conrad (par M. Valentin, 1915.) Les petits Misogynes (par Mme la vicomtesse de Roquette-Buisson, 1917.) Mes premiers souvenirs (par H. de Ziegler, 1917.) Imago (par Mme Gabrielle Godet, 1917).