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parisienne du XIIIe siècle : elle régnait par les chaires de ses maîtres ; elle régnait, aussi, par l’exode de ses écoliers, qui dans leurs diverses nations s’en allaient redire ce que Paris enseignait.

D’autres Français, ou d’autres étrangers formés par la France parcouraient, au moyen âge, les routes de l’Europe, pour un autre genre d’enseignement. Leur impulsion, leur labeur, couvraient l’Europe d’églises[1]. Ils s’appelèrent d’abord les Clunisiens : depuis Compostelle jusqu’en Germanie, leur maîtrise s’affirme ; leur colonie d’Hirsau fit connaître à l’Allemagne notre belle architecture romane. La voûte de Laach, la première voûte que nous trouvions en Allemagne, est fille de notre Bourgogne, de Vézelay : une architecture venue de chez nous abritait ainsi la prière allemande, et s’efforçait de la faire planer. Aux Clunisiens les Cisterciens succédèrent : l’Allemagne leur dut la croisée d’ogives, soixante ans après la construction de notre basilique de Saint-Denis. Elle s’est flattée, durant tout le XIXe siècle, d’avoir inventé le style gothique ; elle a depuis vingt ans pris un ton moins péremptoire, et elle a eu raison. Les droits de priorité de la main-d’œuvre française apparaissent de mieux en mieux établis : la cathédrale de Magdebourg imite notre cathédrale de Laon, et Notre-Dame de Trêves imite Saint-Yved de Braine ; Cologne imite Amiens ; la bourgade de Wimpfen fait orgueilleusement édifier, tout comme en Suède la ville d’Upsal, une église à l’image de Notre-Dame de Paris ; et la sculpture de Bamberg reproduit avec lourdeur la sculpture de Reims. C’étaient de grands voyageurs que nos « maîtres d’œuvres ; » les Pouilles, la Bohême, la Hongrie les appelaient ; l’Allemagne les retenait volontiers ; et ses architectes, à elle, venaient à leur tour chez nous pour étudier les cathédrales que détruit aujourd’hui son artillerie. On dirait que dans le vandalisme avec lequel elles sont visées, il entre une rage de pasticheurs, jaloux de faire disparaître l’original qu’ils ont copié.

C’est un grand honneur pour notre race d’avoir, des siècles durant, dessiné pour la chrétienté l’ordonnance et même les détails de ces arches d’alliance qui, du jour où fut inventée la croisée d’ogives, parurent n’emprunter à aucuns points d’appuis terrestres la robuste fermeté de leur équilibre et chercher leur centre dans les airs, toujours plus près du ciel.

  1. Voir Emile Mâle, L’art allemand et l’art français, Paris, 1917.