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politique et rend presque impossible l’exercice d’une profession civile. Les ennemis d’Emile Ollivier furent déçus dans, leur calcul : le terrible commissaire ne trouva rien qui justifiât leurs calomnies. Ils n’en firent pas moins courir le bruit qu’Emile Ollivier ne paraîtrait point devant le tribunal de Valence parce qu’il s’était enfui en Angleterre, sa complicité avec les insurgés de Marseille étant prouvée par une lettre trouvée dans ses papiers.

Il arriva à Valence le 10 juillet, et l’ébahissement du public en le voyant apparaître calme et ferme fut indicible. Il était accompagné de son ancien secrétaire M as n ou et de Guiter, récemment destitué aussi du poste de préfet qu’il occupait dans l’Ardèche depuis février 1848. Le procureur général et le président du tribunal étaient fort mal disposés ; mais, dès la première conversation, leurs préventions étaient tombées, et Emile Ollivier écrit dans son Journal à la date du 11 juillet : « J’espère d’eux l’impartialité et la justice. »

Le procès avançait lentement et la déposition d’Emile Ollivier était renvoyée à une quinzaine. Que faire jusque-là ? Retourner à Paris, il n’en pouvait être question en ce temps de longs trajets. Les trois amis décidèrent d’aller passer les jours d’attente à la Trappe d’Aiguebelle, toute voisine. « C’est pour le coup, dit en riant Emile Ollivier, que l’on va dire que je suis entré au couvent. »

La Trappe d’Aiguebelle « se cache au fond d’un vallon solitaire et sauvage, gorge étroite, arrondie en forme d’entonnoir, qu’enveloppent de toutes part les replis d’une immense forêt perdue au sein des bois, enfermée par des hauteurs qui la dérobent aux yeux du monde, dominée par des rochers a pic, sans vue, sans horizon, ignorant le reste de la terre : on peut dire de cette sainte demeure qu’elle ne regarde que du côté du ciel. » Emile Ollivier y comprit la douceur de la vie monastique. Elle l’enveloppa, le prit tout entier. Il admirait avec une respectueuse tendresse l’humilité des moines, source de détachement et de sérénité. Au contact de ces hommes de prière qui vivaient dans une aspiration constante vers Dieu, nos trois jeunes gens s’exaltaient du désir de la perfection morale. Avec la candeur « qui caractérise, dit Massillon, les grandes âmes, » ils résolurent de solenniser par une confession réciproque et un serment, leur volonté de s’améliorer. Un soir, ils gravirent