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qu’il en espérait et sa déception lui était amère. Il n’avait réussi à se faire de place dans cette assemblée ni comme orateur parce que ses idées étaient trop vagues, ni comme homme d’action parce qu’il n’avait pas assez la domination de lui-même. Une fièvre intense le consumait. La présence de son fils lui rendit la santé avec le calme. Il revint à une plus juste appréciation de ses aptitudes et résolut de ne point poser sa candidature aux élections ; de l’Assemblée législative qui devaient se faire au mois de mai suivant et de réserver ses forces à sa tâche de père de famille, mais ce ne fut pas sans un regret profond qu’il se résigna à ce renoncement.

Absorbé par ses inquiétudes filiales, Émile Ollivier avait gardé le silence envers ses amis de Marseille depuis qu’il avait quitté Chaumont. Le bruit courut en Provence qu’il était entré dans les Ordres. Dolques lui demanda, 18 février 1849 : « Est-ce à Saint-Sulpice, à la Trappe ou aux Dominicains que vous êtes entré ? Les avis sont partagés, mais il n’est douteux pour personne ici que vous n’ayez pris le parti de renoncer au monde. Il en est qui vont jusqu’à affirmer quo vous vous êtes embarqué au Havre pour travailler aux Missions de l’Océanie. » Émile Ollivier répond, 6 mars 1849 :

« Ma lettre n’est datée ni de la Trappe, ni des Missions de l’Océanie, je ne vous l’écris pas en présence d’une tête de mort ou d’une tombe entr’ouverte. Je suis assis tranquillement devant mon feu avec votre lettre que je viens de relire et devant les larmes éternellement jeunes de la belle pécheresse du Christ qui orne ma cheminée. Est-ce à dire que mon front ne s’obscurcisse pas souvent et que je ne route d’amères pensées ? Si je le niais, vous ne le croiriez pas. Je ne m’afflige ni des ingratitudes ni des disgrâces ; il y a longtemps que j’ai placé mon cœur au-dessus de ces vanités. J’ai été préfet sans morgue et sans étourdissement, je redeviens avocat sans regrets. Ce qui me désole, c’est de voir combien peu valent les hommes, combien est aveugle leur intelligence. En vérité, si j’en avais la force, je renoncerais à tout jamais à la vie politique. Comme avocat, je parviendrais un jour à gagner 25 000 francs par an ; je finirais par trouver quelque part au monde une femme assez dépourvue de ces qualités de parade qui font briller dans les salons à la mode, pour essayer la réalisation de la vie intime du cœur et de l’intelligence, seul repos sérieux