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« La presse départementale, dit encore le Bien public, est unanime à blâmer la révocation de M. Emile Ollivier. L’Écho du Peuple (nuance rue de Poitiers) fait l’éloge le plus complet de son administration. Voici le Messager de Langres (journal légitimiste) qui vient à son tour joindre ses plaintes aux nôtres. Dira-t-on après cela que M. Ollivier était le préfet d’une coterie, d’un parti[1] ? » Toutes ces protestations furent inutiles. L’intrigue bureaucratique et parlementaire eut le dernier mot.

Lui, avait eu le pressentiment de son sort depuis plusieurs jours et l’avait accepté. « Demain peut-être, dit son Journal, le 2 janvier, vais-je être jeté dehors comme un valet dont on n’apprécie plus les services. Mon Dieu ! je n’en commencerai pas moins par te bénir de ta miséricorde. Au moment où, désespéré, je jetais autour de moi un regard de détresse, ne trouvant pas d’abri où me réfugier avec les miens, tu m’as pris par la main ; jeune tu m’as fait parvenir où beaucoup n’arrivent pas en toute leur vie. Tu as mis sur mes lèvres le miel de ta parole et les multitudes en ont été ravies ; les cris de joie et de triomphe ont égayé mon oreille. Puis, tu m’as brusquement jeté par terre là même où j’avais triomphé ; mes ennemis ont prévalu contre moi et m’ont abreuvé d’humiliations ; beaucoup de ceux que j’aimais m’ont délaissé et j’ai appris combien le cœur de l’homme est changeant, combien toutes les félicités du pouvoir sont courtes et vaines. Par toutes ces épreuves tu as voulu faire avancer mon perfectionnement moral. Ma prière est donc une action de grâces. Qu’elle monte vers toi, aussi convaincue qu’elle est sortie de mon cœur. Aide-moi à devenir meilleur, aide mes résolutions, et fais que j’atteigne le but suprême de l’homme, d’agir selon ta loi et d’aimer le prochain comme tu nous aimes. »

(4 janvier) : « Je me reproche le bien-être dont je jouis au coin d’un bon feu. Demain peut-être serai-je, hélas ! pauvre comme ceux que je plains et, comme eux, sans le pain du lendemain ; demain peut-être j’apprendrai ma destitution ; ce soir peut-être est le dernier que je passerai sans les anxiétés qui m’ont assailli si jeune. Je suis résigné si la volonté de Dieu est que je tombe… Douleurs, génératrices des grandes et saintes pensées, gardiennes de la pureté du cœur, maîtresses

  1. Le Bien public. 19 janvier.