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CHAUMONT

Emile Ollivier s’arrêta à Paris quelques jours près de son père. Il alla rendre compte à Ledru-Rollin de ce qui s’était passé à Marseille et fit une visite à Lamartine. Le poète, dont la fortune politique déclinait aussi, emportée comme celle de l’orateur par l’ouragan de juin, occupait alors un appartement rue de l’Université. Dans le vaste salon, où il recevait les amis fidèles, encore nombreux, qui entouraient sa disgrâce, il était adossé à la cheminée, causant au milieu d’un groupe, lorsque Emile Ollivier fut annoncé. Il s’interrompt aussitôt, s’avance au-devant du visiteur et, d’un de ces gestes royaux qui lui étaient familiers, il lui tend la main en s’écriant : « Mon cher, je suis fier de vous ! » Puis il le présente à tous, le fait asseoir, se met à ses côtés et lui demande le récit de sa mission en Provence, l’approuvant, le félicitant de nouveau sans se lasser. Quels mécomptes n’étaient point compensés par une telle sanction ! Emile Ollivier reprit sa route, l’âme rassérénée. Il avait chassé les amertumes et les rêves, et il ne songeait plus qu’à remplir de son mieux ses attributions de fonctionnaire. Il arriva à Chaumont quelques jours avant la distribution des prix du collège. Le jour de la solennité, à côté du corps des pompiers qui, gravement, vient le chercher et l’escorter, un groupe de collégiens en uniforme s’avance. C’étaient les élèves de rhétorique, attirés par la jeunesse du préfet, qui venaient, eux aussi, lui faire escorte. Le rhétoricien Fèvre, qui fut plus tard le chanoine Fèvre, a rendu compte de cette séance : « Le discours d’Emile Ollivier fut le plus propre à enchanter ses auditeurs ; il leur dit qu’il éprouvait une double joie à présider cette fête, puisque, il n’y a pas très longtemps encore, il était lui-même sur ces bancs, et que, cette joie, il la doit à la République, la République dont ils apprennent à admirer les héros et dont les auteurs immortels leur enseignent les gloires. Jamais on n’avait entendu parler ainsi dans la Haute-Marne. Cette voix enchanteresse, cette parole émue, ces images de patrie, de liberté, de travail, de dévouement, qui rendaient si bien les aspirations de nos jeunes âmes, produisirent un effet extraordinaire et laissèrent dans la mémoire des auditeurs une impression inoubliable[1]. »

  1. Mgr Fèvre, Emile Ollivier.