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de regretter ma solitude animée d’heureuses pensées et cette atmosphère paisible et pure de mes études bien-aimées qui m’enchantaient d’innocence, de douceur et d’harmonie ! » Ses amis, qui avaient été frappés des qualités éminentes d’administrateur qu’il avait montrées dans ces quatre mois, le pressèrent de prouver à ses ennemis qu’il était à la hauteur de toutes les tâchés et qu’un théâtre moins brillant et plus paisible ne l’effrayait pas. Il les écouta, et rejoignit son nouveau poste le 13 juillet.

Avant de partir, Emile Ollivier avait adressé ses adieux aux Marseillais : « En entrant dans la vie publique, j’ai pris envers moi-même l’engagement de n’avoir jamais pour guide et pour boussole que ma conscience et la sainte lumière du devoir. Quand la popularité m’accompagnera dans cette voie, je bénirai Dieu d’avoir rendu mes efforts féconds. Quand la calomnie sera ma seule récompense, je ne dévierai pas davantage, car je sais que, derrière les accusateurs injustes, il y a les honnêtes gens dont l’estime est la meilleure et la plus sûre des popularités. »

Son départ mit de la tristesse dans bien des cœurs. Aucun ne fut plus triste que celui de l’enfant à qui, sans s’en douter, il avait appris l’amour : « A l’immense douleur dont je fus abreuvée, a-t-elle écrit, je compris que je l’aimais plus encore que je ne l’avais cru… Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi n’ai-je pu le lui dire ? pourquoi n’ai-je pu le consoler ? Je l’aurais environné de tant de tendresse ! ma pensée eût été un écho si Adèle de la sienne ! O mon bien-aimé, chasser les ombres de ton front, et verser un baume sur tes blessures ; te faire oublier les injustices des hommes, tes douleurs du passé, les préoccupations de l’avenir, ce serait mon rêve, mon bonheur, et il me semble que ce devrait être mon lot[1]. »

Emile Ollivier n’entendit pas ce cri, ou plutôt il ne voulut pas l’entendre, lorsque, dominant avec effort l’émotion qui le bouleversait lui-même, il serra pour la dernière fois la main glacée de Marie et détourna son regard de ses beaux yeux désolés. Il pensait que la vie le séparait d’elle pour jamais et il voulait entrer fort et calme dans sa nouvelle voie.

  1. Manuscrit de Marie Chargé.