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n’avait rien exagéré. Très cultivé lui-même, il éprouva un vrai plaisir à causer avec ce jeune homme dont il mesurait la haute valeur. Mme Chargé, éprise surtout de noblesse morale, sentit toute celle de son visiteur et s’attacha aussitôt à lui d’une tendresse maternelle. L’émotion de leur fille fut inexprimable. Créole et provençale, ardente comme le soleil du Midi, l’imagination nourrie d’idéal, vivant dans la religion de ce qui est grand et beau, c’est un culte passionné qu’elle voua dès la première heure à celui en qui elle découvrait tout ce qu’elle avait rêvé. « Je le voyais pour la première fois, a-t-elle écrit, il me sembla le reconnaître. Il parla ; sa voix m’était familière ; il me sembla qu’elle avait de toute éternité résonné au fond de moi-même. J’étais dans un coin, il ne faisait nulle attention à moi, car pour lui j’étais une enfant, mais mon âme était suspendue à ses lèvres, ou plutôt je crois que mon âme naquit de ses paroles et s’alluma à son regard[1]. »

En effet, Emile Ollivier n’avait pas d’abord prêté grande attention à l’admirable enfant qui lui avait ainsi donné son âme. Mais, à ses visites suivantes qui se succédèrent fréquemment, il remarqua son attention intense, sa physionomie expressive et ses observations révélatrices d’une vie intérieure active. Il dit à Dolques : « Cette jeune fille parait bien remarquable. — C’est, répondit Dolques, une des plus belles intelligences que je connaisse ! »

Des habitudes d’intimité s’établirent. A la fin d’avril, la famille Chargé s’étant installée dans une villa du Prado, au bord de la mer, Emile Ollivier y allait souvent diner et passer la soirée. On s’asseyait dans le jardin, on causait jusqu’à dix ou onze heures ; quelquefois on prenait une barque et on « se charmait, » comme on dit en Provence, de la beauté de la nuit étoilée, inspiratrice des épanchemens de l’âme. Emile Ollivier et Dolques récitaient des vers de Lamartine et de Hugo ; ils discutaient avec chaleur du présent, de l’avenir, de la République, oubliant le sol mouvant sur lequel elle croyait se fonder et ne voyant l’humanité que belle et bonne, tandis que le docteur, sceptique, raillait amicalement leurs illusions, et que Marie et sa mère donnaient leur assentiment enthousiaste aux thèses généreuses[2].

  1. Manuscrit de Marie Chargé.
  2. Ces soirées ont été racontées par Emile Ollivier dans le roman autobiographique de Marie-Magdeleine.