Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/581

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par l’intelligence, ni par le courage, ni par la noblesse de la nature. On peut même préférer, pour leur générosité ou leur conseil, un Patrocle à un Achille, un Olivier à un Roland. D’où vient donc cette primauté ? C’est le secret du tempérament, c’est le secret du génie, flamme intérieure qui brûle plus ardente et dont les apparitions saisissent d’étonnement et presque d’effroi, comme devant la divulgation d’un mystère.

Certes, Georges Guynemer est mécanicien et armurier. Il connaît son appareil et sa mitrailleuse. Il sait leur faire donner leur maximum de rendement. Mais d’autres, pareillement, le savent. Dorme, Heurtaux sont peut-être plus manœuvriers que lui. Le voici qui va chevaucher son Nieuport. L’oiseau est sorti du hangar, il l’a minutieusement examiné et palpé. Ce grand jeune homme mince, au teint ambré, au visage d’un ovale allongé, le nez serré, les coins de la bouche un peu tombans, une ombre de moustache dessinée sur les lèvres, les cheveux d’un noir de corbeau rejetés en arrière, aurait l’air d’un chef maure s’il était plus impassible. Mais les pensées ne cessent pas de courir sur les traits, et cette course incessante leur communique plus de grâce et de fraîcheur… Maintenant les traits se tendent, se durcissent. Une ride verticale se creuse au-dessus du nez sur le front. Les yeux, — ces yeux inoubliables de Guynemer, — en forme arrondie d’agates, noirs et brûlés ensemble de leur propre feu, d’un éclat impossible à soutenir, et pour lesquels il ne saurait y avoir qu’une seule expression assez forte, celle dont Saint-Simon s’est servi pour je ne sais plus quel personnage de la cour de Louis XIV : ils assènent des regards, — ont percé comme des flèches le ciel où l’oreille exercée a perçu le ronflement d’un moteur ennemi. D’avance ils condamnent à mort l’audacieux. À distance, ils semblent l’attirer vers le gouffre, comme l’envoûteur par ses sortilèges.

Cependant il a revêtu sur sa vareuse noire la combinaison fourrée. Le passe-montagne presse la chevelure, resserre, encadre l’ovale. Le casque de cuir recouvre, comme d’un cimier, la tête qui s’est redressée. Plutarque a parlé de l’air terrible d’Alexandre partant au combat. Le visage de Guynemer, au départ, était effrayant.

Qu’a-t-il fait dans les airs ? Ses carnets de vol et les procès-verbaux officiels l’attestent. Cent fois de suite, à chaque page,