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expulsait de leurs terrains d’atterrissage. Cependant la bataille de Verdun allait changer de face. Le général Pétain, qui avait pris le commandement à la date du 26 février, rétablissait l’ordre compromis par le fléchissement de la ligne, fixait la ligne nouvelle où venait se buter la ruée allemande. Il lui fallait aussi reconquérir la maîtrise de l’air. Il demanda et obtint une concentration rapide des escadrilles disponibles et réclama de notre aviation une vigoureuse tactique d’offensive. Pour réaliser l’économie des forces et la coordination des efforts, toutes les escadrilles de chasse de Verdun furent groupées sous le commandement unique du commandant de Rose. Elles opérèrent par patrouilles, sur des itinéraires parfois très éloignés, attaquant tous les avions rencontrés. En peu de temps la suprématie nous était rendue et les appareils de réglage d’artillerie et de photographie aérienne pouvaient travailler sans être gênés. La protection leur était donnée par les incursions mêmes dans les lignes allemandes.

L’escadrille des Cigognes s’est donc envolée dans la direction de Verdun. En cours de route, Guynemer abat son huitième avion, qui prend la verticale en feu. C’est d’un bon présage. À peine arrivé, le 13 mars, il explore le champ de bataille de ses yeux de conquérant. L’ennemi se croit encore le maître et ose venir dans nos lignes. Guynemer chasse au-dessus de Revigny une troupe de cinq avions, en expulse un autre de l’Argonne, se heurte au retour à deux autres encore face à face. Il aborde le premier de trois quarts, le tire à dix mètres en virant dessous. Mais l’adversaire riposte. L’appareil de Guynemer reçoit la charge : le longeron de droite arrière est coupé, le câble entamé, le montant de droite avant également coupé, le pare-brise haché. L’aviateur lui-même a reçu des éclats d’aluminium et de tôle au visage : un dans la mâchoire d’où il ne pourra jamais être extrait, un dans la joue droite, un dans la paupière gauche, laissant miraculeusement l’œil intact, d’autres plus petits un peu partout, provoquant des hémorragies, bouchant le masque, le collant à la chair. Il a en outre deux balles dans le bras gauche. Son sang l’aveugle. Il ne perd pas son sang-froid et pique en hâte, tandis que le second avion ouvre le feu et qu’un troisième à tourelle, venu à la rescousse, descend sur lui et le tire de haut en bas. Cependant il a échappé à cette escadrille par sa manœuvre, et, tout meurtri, fait néanmoins un