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Boche n’a dû la vie qu’à un ressort légèrement faussé, comme l’a révélé l’autopsie de la mitrailleuse. Pour mon huitième combat, c’est vexant… »

C’est vexant, mais qu’y faire ? Parbleu, se remettre en apprentissage. Le pilotage lui donne toute satisfaction, mais ces fréquens enrayages qui sauvent l’ennemi, il s’agit de les éviter. Au collège Stanislas, Guynemer passait pour un excellent tireur. Il s’exerce à la carabine, il s’exerce à la mitrailleuse : surtout il soumet toutes les pièces de cette arme délicate à un examen attentif, il les décompose et les rassemble, il en multiplie les essais. Il se fait armurier. Là est le secret de son génie : il ne renonce jamais, il ne s’avoue jamais vaincu. S’il échoue, il recommence, mais après avoir cherché la cause de l’échec afin d’y porter remède. Sollicité un jour de choisir une devise, il prit celle-ci qui le peint tout entier : Faire face. Il fait toujours face, non pas seulement à l’ennemi, mais à tous les obstacles qui s’opposent à sa marche. Son obstination force le succès. Il n’y a aucune part de chance dans la carrière de Guynemer : tout y est volonté, poursuite, effort, acharnement.

Le dimanche 5 décembre (1915), menant une ronde dans la région de Compiègne, il aperçoit deux avions à plus de 3 000 mètres au-dessus de Chauny. Comme le plus élevé survole Bailly, il fonce dessus et l’attaque : à 50 mètres, quinze coups de mitrailleuse, puis trente à 20 mètres. L’Allemand tombe en vrille au Nord de Bailly contre le Bois Carré. Georges Guynemer est sûr de l’avoir abattu. Mais il reste encore l’autre. Il vire pour le poursuivre et l’attaquer : vainement, car son second adversaire s’est enfui. Et, quand il veut découvrir l’emplacement où le premier a dû tomber, il ne le retrouve plus. Ça, c’est trop fort : va-t-il le perdre ? Une idée vient à cet enfant. Il atterrit dans un champ près de Compiègne. C’est un dimanche, et il est midi. Ses parens doivent sortir de la messe. Il va les guetter et dès qu’il aperçoit son père, il se précipite :

— Papa, j’ai perdu mon Boche.

— Tu as perdu ton Boche ?

— Oui, un avion que j’ai descendu. Je dois rentrer à mon escadrille, mais je ne veux pas le perdre.

— Qu’y puis-je ?

— Mais le chercher et le trouver. Il doit être du côté de Bailly, vers le Bois Carré.