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V

Héros obscurs des tranchées, vous devrez donc combattre encore et tenir invinciblement, et vous, pauvres habitans des territoires envahis, vous continuerez à vous raidir avec une abnégation admirable contre les privations et les souffrances. Cette pensée nous déchire le cœur. Mais qui de vous, ayant supporté sans fléchir une si longue épreuve, voudrait d’une paix de défaillance et de surprise, machinée dans l’ombre par les agens de l’Allemagne et de l’Autriche ? Qui de vous accepterait une paix, contenue soi-disant dans une formule étroite et sonore, que claironnent nos ennemis à la tribune de leurs Parlemens ou par l’organe de leurs journaux, tandis que la complicité de quelques neutres leur fait bruyamment écho ? Vous savez bien, — et l’exemple des maximalistes russes suffirait à vous éclairer, — que cette formule-est un leurre grossier. Les plénipotentiaires des Alliés, s’ils se laissaient attirer à une conférence sur la foi d’une promesse de paix sans annexions ni indemnités, apprendraient vite comment la mauvaise foi germanique s’entend à l’éluder et à la dénaturer.

Les conditions de paix, je n’ai pas à en parler ici. Toute discussion à leur sujet me paraîtrait, d’ailleurs, prématurée. Elles se préciseront, elles s’imposeront d’elles-mêmes, d’après la marche des événemens. Elles dépendront de facteurs multiples, dont l’action sera irrésistible pendant la dernière période de la guerre. Elles seront débattues au moment de l’armistice et fixées en termes définitifs autour du tapis vert de la conférence, champ de bataille diplomatique où se livrera la lutte finale.

Mais chacun peut, comme il lui plaît, définir la paix qu’il réclame : paix d’union entre tous les Alliés, arrêtée entre eux de commun accord et soutenue par chacun d’eux avec une énergie irréductible ; paix réparatrice du passé et garante de l’avenir ; paix qui assure aux peuples, grands et petits, une liberté absolue dans tous les domaines et le droit de se gouverner comme ils l’entendent ; paix d’indépendance pour les nationalités opprimées, qui aspirent à leur place légitime sous le ciel libre d’une Europe nouvelle ; paix d’honneur, paix de justice, paix que ne pourront plus détruire l’ambition d’un