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d’allégresse — oh ! pas long, mais unique dans sa correspondance : « … Descente en plané ininterrompu de 800 mètres. Vue splendide (coucher de soleil)… »

Vue splendide (coucher de soleil) : c’est, je crois bien, dans les deux cents lettres adressées à sa famille, le seul paysage. Plus tard, — pas beaucoup plus tard, ni fréquemment, — le nouvel aviateur donnera quelques détails d’observation, dont la précision même paraîtra pittoresque. Mais, cette fois, il s’abandonne à l’ivresse de l’air, il jouit de voler, comme s’il en avait le droit. Il a connu cette sensation d’allégement que donne la séparation de la terre, ce plaisir de fendre le vent, de posséder son appareil, de voir, de respirer, de penser autrement qu’en bas, de naître enfin à une vie nouvelle et solitaire dans le monde élargi. Les hommes se sont brusquement rapetissés. Une main prodigieuse a comme nivelé toutes les surfaces, où les ombres portées maintiennent seules quelque diversité, tandis que le dessin des objets se renforce, prend toute l’importance du relief. Le sol est maintenant tracé de figures géométriques qui attestent le travail humain et sa régularité, immense damier bigarré traversé par les lignes des routes et des rivières, avec les îlots que font les forêts et les agglomérations des villes et des bourgs. Est-ce la chaîne des Pyrénées couvertes de neige qui, rompant cette uniformité, arrache à l’aviateur un cri d’admiration ? Quelles nuances d’or et de pourpre le couchant a-t-il distribuées à la nature ? Cette demi-phrase est comme un aveu d’amour à la joie de vivre violemment arraché, le seul aveu que ce brusque Roland se permettra. Car sa correspondance offre un caractère surprenant. Lue par des yeux superficiels, elle paraîtrait désespérément monotone. Mieux comprise, cette monotonie prend bientôt son véritable sens d’oppression, d’hallucination, d’envoûtement. Georges Guynemer est dès lors livré à un unique but. Pas une fois il ne s’en détourne. Ou s’il s’en détourne, c’est pour un bref adieu à ses parens qui font partie de sa vie, qu’il associe à son œuvre. Ses avions, ses randonnées, puis ses chasses, dans sa correspondance il n’y a que ça. Pas d’entrée en matière, pas de trait final : il commence en pleine action, il est lui-même tout action. Que ça ? Mais c’est sa raison d’être, son cœur, sa flamme, son âme, lui tout entier à ses proies attaché.

Pour former un bon pilote, le dressage est long et