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étiquette socialiste, car la formule qui la résume possède une remarquable élasticité.

Pour ce qui regarde le manifeste du Souverain Pontife, il est pénible de constater l’échec d’une tentative de médiation, faite par la plus haute autorité morale de l’univers. On s’incline avec respect devant les intentions d’un cœur paternel, ouvert à l’amour de l’humanité tout entière, mais le manifeste, tel qu’il a été conçu, n’a pas répondu, — est-il besoin de le dire ? — aux espérances des fils fidèles de l’Eglise romaine, qui se considèrent à bon droit comme les victimes des Austro-Allemands. Sa Sainteté a voulu se tenir sur le terrain d’une impartialité absolue. Elle s’est tue délibérément sur la responsabilité des crimes commis.

Les criminels ont-ils au moins écouté la voix pacificatrice qui s’adressait à eux avec tant de mansuétude ? Relisez attentivement les réponses de Guillaume II et de Charles Ier, deux chefs-d’œuvre d’hypocrisie diplomatique. L’un et l’autre monarques commencent par asperger respectueusement d’eau bénite l’auguste Pontife. Après une apologie, quelque peu audacieuse, de leur pacifisme avant et pendant la guerre, ils se donnent le mot pour ne voir qu’un côté de la question qui leur est posée. Que propose le Saint-Père ? La substitution de la force morale du droit à la force matérielle des armes, la diminution simultanée des arméniens, l’institution d’une procédure d’arbitrage, mais aussi quelques conditions plus concrètes, telles la renonciation réciproque aux dommages et frais de guerre, la restitution des territoires occupés, l’évacuation de la Belgique avec garantie de sa pleine indépendance. Les bons apôtres s’empressent d’approuver bruyamment des moyens de pacification générale qui ne pourraient être, en toute occurence, que le corollaire du traité de paix, et non sa base fondamentale, comme Sa Sainteté voudrait le croire. Ils restent prudemment muets sur les conditions concrètes, hors desquelles Elle ne juge pas de paix possible.

Cette, duplicité est bien faite pour décourager Benoît XV, malgré l’affliction où le plonge le spectacle du sang répandu. Mais elle révèle une fois de plus le dessein arrêté des deux complices d’amorcer des pourparlers, d’attirer leurs adversaires dans la glue d’une négociation, sans avoir à dévoiler leurs arrière-pensées ni à mettre eux-mêmes cartes sur table.