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ambitieuse vieillesse ; c’est son dernier trophée à conquérir. Jagow, accablé de sa responsabilité, avait passé la main à Zimmermann. On a revu fonctionner aussitôt tous les procédés rouilles de la manière bismarckienne, mais il manquait au disciple l’adresse diabolique du maître. Voici venir un diplomate d’une autre école : Kühlmann s’inspire plutôt du modèle de Bülow. Il voudra, comme lui, gagner à la Wilhelmstrasse son brevet de chancelier, Il semble posséder sa facilité oratoire, sa souplesse et sa connaissance de la mentalité du Reichstag. Son collègue autrichien, Czernin, doit être capable de lui donner la réplique, car le Livre rouge sur la Roumanie a mis en lumière sa perspicacité. Ce ne sont certes pas là des adversaires à dédaigner ; ils nous montreront plus d’un tour de leur métier. Ils ont déjà commencé : la connivence des Empires centraux avec les maximalistes de Pétrograd, l’armistice bâclé avec ces soi-disant commissaires du gouvernement russe, autant de coups qui partent de la Wilhelmstrasse et du Ballplatz, quoiqu’ils soient portés en apparence par la main de Lénine et de Trotsky.

Les victoires d’Hindenburg et la révolution qui a démoralisé l’armée russe ont livré à l’Allemagne et à l’Autriche plus de territoires que le germanisme, pour avide qu’il soit, ne -serait capable d’en absorber sans indigestion. Les deux empereurs tiennent là des compensations qui leur feront dire plus tard qu’ils n’ont pas perdu la guerre. Mais s’ensuit-il qu’à Berlin on ait jamais pensé à faire des concessions sur le front occidental et à lâcher prise en Belgique ? Il y aurait, à mon humble avis, quelque danger à le croire. Céder quoi que ce soit des spoliations qui ont permis à Bismarck de réaliser l’unité allemande, cimentée dans le sang de trois guerres heureuses, serait l’aveu suprême de la défaite, l’éclipse totale de la réputation d’Hindenburg et de ses lieutenans, la condamnation sans appel du présomptueux César, incapable de conserver l’héritage intégral de son grand-père.

Sans avoir la même importance, une renonciation absolue à la Belgique, après les paroles officielles réclamant des garanties contre cette irréprochable victime, semblerait un désaveu trop complet pour être sincère, d’une politique suivie avec persévérance depuis le premier jour de l’occupation. Une évacuation militaire, soit ; mais en laissant la porte ouverte aux