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philanthropie conciliante et d’un respect réciproque; » puis, mêlant ces deux genres essentiellement allemands, le cynique et le mystique : « D’un côté, elles doivent tenir compte de ce qui s’est accompli et est devenu des faits historiques, afin de bien s’établir sur un domaine solide de réalités; mais, d’autre part, elles doivent aussi s’inspirer des grandes idées directrices qui nous réunissent ici. Il m’est permis de considérer comme d’un heureux augure que nos négociations commencent au moment de cette fête qui, il y a déjà des siècles, a apporté à l’humanité cette promesse de paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » Quelles « grandes idées directrices ? » Quoi de commun entre ces Empires et cette Révolution, entre ces calculateurs et ces utopistes? Il semble que M. de Kühlmann se méfie, tâte le terrain, se défende d’espérer trop : « On ne peut pas, déclare-t-il, songer à mettre sur pied, ici, un instrument de paix parachevé jusque dans ses plus petits détails; » mais seulement « à fixer les principes fondamentaux des conditions auxquelles les rapports amicaux de voisinage, particulièrement dans les domaines intellectuel et économique, peuvent être repris, et à délibérer sur les moyens de panser les blessures faites par la guerre. » C’est dire, aussi clairement que s’y prête un discours entortillé : pour « tenir compte de ce qui s’est accompli et de ce qui est devenu des faits historiques, » l’Allemagne refuse de lâcher les territoires qu’elle occupe ; pour panser les blessures de la Russie, elle a, tout prêts à passer la frontière, des propagandistes munis de ses instructions et des trains chargés de ses marchandises.

Sur cette entrée en matière engageante, les bolcheviks ont déployé leur papier. On ne le conçoit pas sans un exposé de doctrine, et il en contient un, éloquent et vaste en effet. Peut-être appuie-t-il un peu maladroitement sur « la ferme volonté des nationalités peuplant la Russie révolutionnaire » de voir la paix conclue dans le plus bref délai, — et, bien entendu, la paix des Soviets, sans annexions ni indemnités ; sur leur « ferme décision » de signer sans retard une pareille paix, ou une paix quelconque qui s’en rapproche et qui soit toute proche. Mais il ne révèle rien à personne : les Allemands en connaissent là-dessus autant que les maximalistes. Comme si les mandataires de Trotsky pressentaient que la formule dont ils sont si fiers : « sans annexions » est susceptible d’interprétations différentes, ils l’expliquent, et ils font très bien ; la suite montrera que ce n’était pas inutile. Ils proclament nettement qu’ils tiennent pour une annexion « toute usurpation par un État grand ou fort du territoire d’un État