Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/474

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la première ruée. Mieux vaut être en éveil et tenir l’avis pour bon. Mais nous n’en sommes plus au mois d’août 1914, et ce n’est plus la première ruée : celle-ci a d’avance le souffle court et les pieds coupés. La nouvelle offensive est d’ailleurs claironnée à bien grand fracas : Hindenburg et Ludendorff n’ont guère l’habitude de se laisser ôter ainsi le bénéfice de la surprise. D’autre part, il est remarquable que, loin de contrarier ses offensives de guerre, ce qu’on peut appeler «les offensives de paix » de l’Allemagne, ces opérations latérales ont toujours coïncidé avec elles, les ont toujours précédées, accompagnées ou immédiatement suivies. Soyons donc gardés et parés à tout: à la manœuvre stratégique et à la manœuvre morale’. C’est l’instant décisif. Que l’esprit soit aussi ferme que le cœur, et le civil aussi imperturbable que le soldat!

A peine les pourparlers pour l’armistice avaient-ils abouti, entre la Quadruplice et les bolchevikis, à une suspension d’armes de vingt-huit jours, indéfiniment renouvelable par tacite reconduction (comme si depuis longtemps les armes, là-bas, n’étaient pas suspendues!), que s’ouvraient à Brest-Litovsk des négociations pour la paix. L’Allemagne et l’Autriche, avec une hâte fiévreuse, y dépêchaient, dès le 20 décembre, les plus éminens de leurs hommes d’État, renforcés par les plus experts de leurs diplomates, et d’abord leurs propres ministres des Affaires étrangères, M. de Kühlmann et le comte Czernin. Piquées d’honneur, la Turquie envoyait le sien, Nessimi bey, et la-Bulgarie son ministre de la Justice, M. Popoff. Tout [un essaim de hauts fonctionnaires, ambassadeurs, chefs de division, conseillers, secrétaires, bourdonnait autour de ces chefs. Et tout un escadron de militaires, et toute, une académie de techniciens.

Mais qui, en face d’eux, du côté russe? Il est très difficile de le savoir exactement. On a raconté que la délégation maximaliste se composait, en son fond, d’un matelot de vingt-quatre ans, complètement illettré, d’un soldat de vingt-et-un ans non moins illettré que le matelot, et d’un brave homme d’une cinquantaine d’années, « qui avait l’air d’un illuminé, en proie jà l’idée fixe du partage des terres, » auxquels il s’ajoutait une vieille femme, jadis déportée en Sibérie pour avoir pris part à un attentat contre un ministre de la Guerre ; qu’il y aurait en outre, et comme en sous-ordre, un général et un amiral, mais que le général s’obstinerait à ne rien dire et que l’amiral, soucieux de se mettre à la mode du jour, aurait arraché de sa vareuse galons et décorations, ne conservant pour tout insigne qu’une chaînette d’or. Si ce n’est pas une plaisanterie, on imagine la stupéfaction du