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bruit des grelots des chevaux. Celui qui passe distraitement entend rire les grelots. Celui qui prête l’oreille entend pleurer la cloche. Et c’est toute la peinture de ce maître, et c’est toute la musique de la vie. » La canzone et les cantiques de M. Messager n’ont sûrement pas d’ambitions si hautes. Ni les mélodies elles-mêmes, ni leur alternative, ne sont quelque chose de bien rare. Mais c’est quelque chose de facile, d’agréable, et l’unique endroit de l’ouvrage où peu, très peu de musique, nous ait induit en des pensées, en des rêveries, que beaucoup de musique, partout ailleurs, ne nous suggéra point.

L’exécution musicale (orchestre et chant, orchestre surtout) de Béatrice ne fut pas mauvaise. Quant à l’exécution qu’on peut appeler verbale, parce qu’elle consiste dans la prononciation des paroles, elle se distingua par une presque universelle inintelligibilité. Nous n’excepterons de ce commun reproche que deux personnages, et secondaires, le brave jardinier du couvent et Mgr l’archevêque. Les autres, tous les autres, chantèrent pour ne rien dire, car on n’entendit rien de ce qu’ils chantaient. Aussi bien, c’est une manière de chanter fort répandue à présent. Un jour viendra, qui n’est pas loin, où les spectateurs ne pourront plus comprendre que par les gestes, avec le secours du programme et du livret, le sujet d’une action musicale. Qu’est-ce pourtant que chanter ? C’est parler en musique, et, pour n’être pas cela seulement, c’est tout de même aussi cela. Favellar in musica, disaient les Florentins, qui tenaient à la parole. Et nous autres Français, nous n’y tenons pas moins, nous y avons toujours tenu. Quelles leçons admirables, mais trop oubliées, de diction lyrique, et si française ! ne donna pas naguère, sur la scène de l’Opéra, le grand artiste, étranger de naissance, mais nôtre de langage aussi bien que d’esprit et de cœur, que fut M. Jean de Reszke ! Comme il chantait, celui-là, et comme, en même temps, il parlait ! Autant que certaines notes, certains mots de lui retentissent encore à nos oreilles : par exemple cette phrase de Jean de Leyde hésitant à quitter sa mère pour suivre les anabaptistes : « Partez sans moi, je reste à sa vieillesse, » et le mot final surtout, où l’artiste savait mettre, par la parole autant que par la, musique, une si tendre, si filiale pitié. Merveille aussi de déclamation, au dernier acte de Roméo et Juliette, certaine période pathétique et s’élevant par degrés jusqu’à l’éclat de terreur et de joie qui la couronnait : « Juliette est vivante !  » Là encore, là toujours, c’était à la fois de la musique et de la parole, et comme de chaque syllabe même, que semblait sortir, aux accens du tragédien chanteur, une seule même vertu.