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ou le poncif, Meurice et Vacquerie. Tout ici, matière à certaine musique peut-être, ne l’était pas à la musique de ce musicien. Au contact et sous l’influence du sujet, elle s’est empâtée, alourdie. Infidèle à ses vertus natives, nationales, nous ne reconnaissons plus, en ce gros ouvrage, la fine ouvrière d’autrefois. Dans cet orchestre si vivant naguère et, quand il le fallait, si nourri, mais si léger pourtant, si modéré de ton, si français, pourquoi, trop souvent, cette emphase et cette pesanteur, cette tension, et, çà et là, ces à-coups, ces poussées presque brutales, à l’allemande ? D’où viennent à M. Messager des pratiques dont il s’était gardé jusqu’ici : le tout à l’orchestre, l’orchestre avant tout et toujours ? Les deux actes conventuels, les plus tempérés, les moins contraires à la nature du musicien, devaient être et sont en effet de beaucoup les meilleurs. Leur unique défaut est de se trop ressembler. Aussi bien, et comme eux, le compositeur ne fait-il guère autre chose ici que se ressembler à lui-même, et de trop loin encore. On a du moins plaisir à retrouver quelques traits, fussent-ils atténués, pâlis, de son ancienne, et charmante, et véritable physionomie. Tenez : il me souvient, — c’est au premier tableau, — de deux innocens octosyllabes, que chante Béatrice :


Mon avenir, c’est la prière,
Mon avenir, c’est d’aimer Dieu.


Certes, le musicien ne les a pas pris au tragique, à peine au sérieux. Il les a notés sur le mode aimable, enjoué, sur un tempo de valse, avec un petit accompagnement de rien. Et dans tout Béatrice il n’y a lieu non plus de si gentil. On aura beau dire que cela ne va pas trop bien, d’avance, avec la suite, plutôt grave, de l’histoire, tant pis. C’est la suite de l’histoire qui a tort et qui ne va pas, qui ne pouvait pas aller, mais pas du tout, avec le talent habituel, et naturel, de M. Messager. Peu de chose encore (premier acte également), une sérénade italienne, et dans la coulisse, comme nous en avons entendu plus de vingt, plus de cent, et qui se mêle, ou répond à de pieux cantiques. Et cependant, tandis qu’ils priaient et qu’elle semblait rire, nous nous rappelions une phrase éloquente, inspirée jadis à notre confrère M. Robert de la Sizeranne, par l’œuvre de Segantini, le peintre italien de la nature alpestre : « Quand on se trouve le soir, en voiture, dans la montagne, une des impressions les plus subtilement évocatrices qu’on puisse recueillir, est d’entendre l’Angelus tintant d’un clocher lointain et égrenant ses sons graves à travers le