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cet engin fournit en outre une heureuse solution (je ne dis pas la seule… et je reviendrai quelque jour sur ce sujet) d’un des problèmes les plus angoissans et les plus graves que la forme nouvelle de la guerre ait posés au tacticien : le problème du canon d’accompagnement. Lorsqu’en effet, dans les attaques, l’infanterie s’est emparée d’une première ligne de tranchée elle trouve plus loin des centres de résistance, nids de mitrailleuses, blokhaus, etc. non encore ou insuffisamment détruits par notre artillerie, et sur lesquels il est pratiquement impossible d’attirer et de régler le feu lointain de celle-ci, car il risquerait d’être aussi dangereux, à cause de la distance de tir, pour nos fantassins que pour les ouvrages à battre. C’est ainsi que s’est imposée la nécessité, encore pendante, d’une artillerie spéciale accompagnant l’infanterie, dans chacun de ses bonds en avant et capable, immédiatement, de réduire les terribles nids de mitrailleuses qui se révèlent au passage et qui, si souvent, ont brisé l’exploitation d’une attaque heureuse.

Si cette question du canon d’accompagne, ment n’a pas jusqu’ici reçu de solution admise sans conteste, c’est surtout parce qu’il est difficile d’amener des pièces dans les terrains bouleversés des attaques où le seul déplacement du fantassin est déjà un problème gymnastique ; c’est aussi et surtout, d’une part, que les servans de ces canons du fantassin ne pourraient pas, sans être pris sous le feu des mitrailleuses ennemies, servir leurs pièces et en régler le tir ; d’autre part, que le transport en avant, et en quantité suffisante, des lourdes munitions nécessaires à ces pièces, est pratiquement très difficile.

Or, le tank, à qui ses moteurs donnent une grande capacité de transport, peut, lui, transporter munitions et canons du même coup ; il en abrite les servans contre les balles, et les nids de mitrailleuses qui résistent à ses projectiles succombent sous l’écrasement de sa masse.

En tout cas, les tanks, — et c’est ce qu’il faut retenir surtout de ceci, — ont montré que la percée d’un front formidablement fortifié est possible sans grandes pertes et par un effet de surprise. Cela nous ouvre quelques perspectives éventuelles dont on pourrait imaginer la matérialisation, sinon demain, du moins le jour où toutes les étoiles du drapeau américain seront venues, par myriades, peupler notre ciel sombre. On a toujours bien le droit de rêver.


CHARLES NORDMANN.