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d’une lutte provoquée uniquement par des intérêts économiques, quelque aveugles et égoïstes qu’ils soient. Toutes les causes ont dû être pesées mûrement par l’Empereur et ses conseillers, avant qu’il se décidât à lancer l’ordre fatal de la mobilisation générale. Mais la participation ardente des chefs de l’armée aux derniers conseils tenus à Potsdam, la voix prépondérante qu’ils y ont eue, impriment à l’attaque livrée par l’Allemagne le caractère d’une surprise militaire, d’un assaut tenté par une nation de proie contre la Triple Entente, mal préparée à soutenir le choc. Les chefs de l’armée travaillaient pour leur compte, en travaillant pour leurs confrères de la grande industrie. Ils s’élançaient à la conquête du monde, à sa conquête intégrale, politique aussi bien qu’économique. ! Il fallait à ces petits-neveux de Blücher tous les profits et tous les butins de la victoire. On ferait croire difficilement à ceux qui ont vu à l’œuvre le militarisme prussien que le Kaiser et ses généraux n’ont été que les instrumens d’une conspiration de banquiers et d’industriels.


II

Au surplus, on disputera longtemps encore sur ces questions, après que les nations belligérantes auront déposé les armes. Maintenant on ne pense qu’à mettre un terme au fléau déchaîné, à arrêter une destruction effroyable aux proportions d’abord insoupçonnées. Le mot de paix se trouve dans tous les discours des hommes d’Etat et, symptôme significatif, dans ceux principalement que débitent les ministres successifs des souverains coupables de la guerre. On trace déjà sur le papier la carte d’une Europe nouvelle. On échafaude en pensée une société idéale, chargée de régler les destinées d’une humanité pacifique et de préserver les générations futures du mal qui a décimé les hommes d’aujourd’hui.

C’est peut-être aller un peu vite en besogne. Puisqu’on parle de paix, ne convient-il pas de rechercher les transformations que l’idée que nos ennemis se sont faite de la paix a subies depuis le commencement de la guerre ? Cette idée n’a pas cessé de se modifier à notre avantage et à leur détriment. Elle continuera, Dieu aidant, à évoluer jusqu’au point où nos légitimes espérances s’attendent qu’elle reste immuablement fixée.