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les vérités nouvelles[1]. Le Prométhée est un essai timide encore, le Printemps olympien sera le triomphe de ce procédé.

Dans cet univers imparfait et cruel, il reste pourtant à l’individu d’élite quelque possibilité de vivre une vie noble, dédaigneuse de toute vulgarité. C’est la consolation aristocratique entre toutes. Il reste les divines intuitions du génie, la voix enfantine et pure de la poésie qui transforme en un paradis l’humble vallée où elle a retenti pour la première fois, conseillant à tous la bonté et le bonheur et le mépris souriant de l’injure[2]. Il reste enfin, répandue à profusion, de la beauté dans l’univers ; et cela suffit. Les hommes ne savent pas toujours la reconnaître. Ils la persécutent et la bafouent, parce qu’ils lui préfèrent des biens plus tangibles et des conventions plus hypocrites. Mais aux cœurs solitaires la beauté de la nature parle un ineffable langage : de là, dans le Prométhée, cette vie continuelle du paysage, jurassien, alpestre et méditerranéen, avec ses lointains vaporeux, ses perspectives éthérées, ses ciels voilés ou radieux, ses mille senteurs d’aubépine, de sapin et de bruyère, les animaux de ses forêts, les aigles de ses hautes cimes, ses alouettes, ses papillons, ses abeilles. On pardonne aisément à Spitteler l’abus parfois indiscret de ses symboles, l’intention didactique souvent trop accusée du récit, en faveur de tel entretien de Prométhée avec son Ame, d’une si parfaite et mystique suavité, en faveur de tant de paysages d’un impressionnisme raffiné et lumineux, en faveur de telle immortelle image : promenade du dieu Logos convalescent, appuyé sur sa sœur Sophia, hautes et souples silhouettes qui se profilent en pleine lumière au bord de la mer.

Les saisons intermédiaires, automne et printemps, les heures où la lumière change, début de soirée ou lever du jour, sont celles que Spitteler note avec le plus de délicatesse. Il sait sur quel rythme, d’abord inégal, puis pressé et régulier, tombe l’averse d’été, et comment descend sur la montagne la première neige de l’hiver. Il a longuement suivi des yeux le vol de l’aigle royal en plein ciel, parmi les avenues et les colonnades des

  1. Voir le passage de Spitteler cité par Meissner, p. 87 : « Les personnages épiques qui proviennent de mythes oubliés et volatilisés vivent plus longtemps et brillent d’un éclat plus vif que tous les autres… L’épopée homérique ou germanique tire ses héros de la mythologie, mais à l’heure où les mythes sont déjà en décomposition… etc. »
  2. Voir tout l’épisode de Pandore.