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Je ne veux pas reprendre une discussion rétrospective sur les raisons qui ont conduit le haut commandement à écarter l’hypothèse d’une violation de la Belgique et à concentrer toute son attention vers la frontière du Nord-Est. On peut pourtant s’expliquer qu’il n’ait pas cru à une stratégie aussi aventureuse que celle qui mettrait l’Allemagne, envahissant la Belgique, en face d’une intervention certaine de l’Angleterre, — qui ferait perdre à l’Allemagne tout le bénéfice de la place d’armes organisée on Alsace-Lorraine, et qui dépasserait aussi par l’ampleur du front de déploiement les effectifs dont elle disposait. Tout au plus l’état-major français admettait-il que l’aile droite allemande serait amenée à passer par le Luxembourg et à emprunter les routes des Ardennes belges, violation réduite à laquelle la Belgique ne pourrait peut-être pas s’opposer. Notre dispositif de concentration tenait compte d’ailleurs de cette éventualité, puisque notre armée d’aile gauche était concentrée entre Mézières et Stenay. Mais l’erreur principale fut d’avoir persévéré dans la foi en cette légende que l’armée allemande se porterait à l’offensive avec ses corps d’armée actifs et qu’elle en était encore à la formule de l’armée de choc.

Or, c’est en cela que l’état-major impérial nous trompa complètement. Il avait bien compris que, pour exécuter cette stratégie colossale qui devait s’étendre jusqu’à la Belgique, il fallait avoir la supériorité du nombre et du matériel. Et ce ne furent pas les vingt-cinq corps d’armée actifs renforcés de quelques divisions de réserve qui s’avancèrent entre Bruxelles et les Vosges, mais une énorme masse dans laquelle les corps d’armée de réserve avaient leur place en première ligne à côté des corps d’armée actifs, tous équivalens comme organisation, encadrement, armement et exaltation morale. Ce fait de l’organisation des formations de réserve et de leur utilisation immédiate au combat ne nous avait pas échappé. Nous-mêmes nous avions accolé à nos armées des groupes de divisions de réserve, mais nos préventions contre la valeur de ces réserves, préventions justifiées dans une certaine mesure par ce que nous avons dit plus haut, ne nous permettaient pas de croire que les Allemands puissent en tirer un meilleur parti.

On sait ce qui s’est passé. Mais cette stratégie qui a failli nous surprendre et nous détruire, et qui a chuté par son excès même, eût-elle été possible si l’Allemagne n’avait pas eu, de