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notre armée surprise en pleine concentration. Notre commandement l’avait prévu, presque trop, et s’y était préparé. Sous l’empire de la loi de deux ans, le recul de notre concentration fut même étudié.

Déjà ce plan, si audacieux fùt-il, avait ses risques. S’il ne prévoyait que le débouché des armées allemandes de la frontière d’Alsace-Lorraine, entre Longwy et Belfort, sans violer aucune des neutralités qui enserraient l’Alsace-Lorraine, il donnait sans doute à l’offensive des chances d’arriver jusqu’à la Meuse et à la Moselle. Mais il était à supposer que les régions fortifiées, Verdun-Toul, Epinal-Belfort, résisteraient un certain temps, et forceraient les grands courans offensifs à diverger, soit au Sud de Toul, soit au Nord de Verdun. Il se produisait ainsi une crise de manœuvre, à la fois pour déboucher à la frontière et pour franchir la Meuse et la Moselle, et les armées françaises, concentrées en bonne place, pouvaient prendre d’heureuses contre-offensives. Dans tous les cas, le théâtre d’opération était limité, et même dans l’hypothèse du forcement des lignes de Meuse et de Moselle, la bataille se développait bien sur un vaste front, mais sans surprise stratégique ; elle pouvait s’immobiliser, rester indécise, loin de Paris. Et l’état-major allemand devait alors songer à l’autre adversaire, la Russie.

N’ayant pu lancer plus tôt cette attaque brusquée et comprenant que le vote de la loi de trois ans augmentait tout au moins la force défensive de la France, l’état-major de Berlin devait fatalement en revenir au grand plan préparé depuis longtemps, et qui, si aventureux fùt-il, comportait, s’il réussissait, des conséquences si fécondes et si décisives qu’il valait bien la peine de le tenter[1]. Nous sommes convaincus que le plan d’attaque par la Belgique était étudié et prêt depuis plusieurs années. De Moltke l’avait certainement indiqué ; on en parlait couramment dans les milieux militaires allemands. Déjà Séré de Rivière l’avait pressenti en organisant la frontière du Nord. De nombreux écrivains militaires français et même belges en avaient signalé les probabilités, presque les certitudes[2].

  1. Nous prions nos lecteurs de se reporter aux articles de l’éminent historien, M. Hanotaux, parus dans cette Revue.
  2. J’ai dénoncé moi-même, dans mon enseignement à l’École de guerre et à l’École des sciences politiques, l’attaque allemande par la Belgique. Et je l’ai signalée dans plusieurs articles du Petit Journal, de 1909 à 1914, sous la signature de colonel X…