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à ses réserves plus d’attention que chez nous. C’était bien les réserves allemandes qui avaient permis à l’armée de 1870 de réaliser le premier plan d’hégémonie prussienne. L’organisation de l’armée impériale était restée conforme au système de la nation armée. Cependant, dans les années qui précédèrent cette guerre, il apparut que les doctrines militaires d’outre-Rhin tendaient vers une formule de guerre où les réserves passaient pour ainsi dire à l’arrière de l’armée de première ligne.

Les théoriciens militaires répétaient à l’envi que la force de l’armée est dans l’armée active mobilisée, c’est-à-dire dans l’armée composée des plus jeunes hommes, réalisant toute la force offensive dans ce terme expressif : armée de choc. Toutes les lois militaires qui, depuis 1905, ont augmenté progressivement les effectifs de paix de l’armée allemande, semblaient être l’application de cette formule qui confirmait la conception d’une offensive foudroyante sous forme d’attaque brusquée, presque sans déclaration de guerre, avec les corps d’armée actifs appointés de 200 000 ou 300 000 réservistes, soldats libérés depuis deux ans à peine. Et naturellement, cette armée de choc, très rapidement rassemblée, s’élançait de la place d’armes d’Alsace-Lorraine.

Il n’y a pas de doute que la crainte de cette attaque brusquée, dont la légende fut habilement entretenue par l’état-major impérial, a obsédé nos esprits, et elle fut certainement une des raisons qui déterminèrent le retour au service de trois ans.

En effet, la loi de deux ans, en diminuant les effectifs de paix, avait une répercussion sur nos troupes de couverture. A moins de réduire à l’état squelettique nos compagnies de l’intérieur, il fallut restreindre ou plutôt ne pas augmenter nos corps de couverture, comme il eût été nécessaire en prévision de cette attaque brusquée. L’alarme fut sonnée pendant ces années émouvantes où se déroulèrent les incidens successifs de la querelle allemande au Maroc. A mesure que s’accroissaient les effectifs allemands jusqu’à atteindre, en 1913, 800 000 hommes, chiffre qui pouvait être porté à 1 million en 1915, — simple affaire de budget, car les classes allemandes et les rengagemens de sous-officiers le permettaient, — le danger montait à la frontière menacée. Notre couverture insuffisante pouvait être crevée sous la pression formidable de l’armée de choc allemande, nos forteresses assaillies et détruites avant d’avoir été mises en