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toutes ses parties ? Et puis enfin, cette fortification qui avait eu sa raison d’être après la défaite pour couvrir la reconstitution du pays, n’était-elle pas superflue ou excessive, dans les conditions où se trouvaient alors le pays et son armée, surtout quand les expériences prouvaient qu’elle ne pourrait résister aux forces nouvelles de destruction ?

Le vieux cri que nos Saint-Cyriens proféraient plaisamment en passant les fossés des fortifications de Paris devenait le mot d’ordre : Conspuez la Barbette !

Une réaction acharnée se fit contre la fortification, même à l’École de guerre. On prit l’abus pour le principe. C’était l’époque où les études militaires s’orientaient à nouveau vers le concept napoléonien de la bataille de manœuvre et de mouvement. Les Allemands l’avaient appliqué en 1870, à nos dépens. Nous étions revenus alors aux doctrines néfastes de la guerre de positions et de siège du XVIIIe siècle, à la défensive inerte et passive. La rançon de cette erreur avait été la défaite. Et voici qu’on allait encore tenir nos armées derrière des murailles de Chine, y attendre le choc de nos ennemis, émasculer à l’avance toute cette énergie de la race qui s’exaltait dans nos soldats de cinq ans et de trois ans ! Les Allemands se flattaient eux-mêmes de détruire rapidement ces magnifiques forteresses par des attaques brusquées, et par les obus de gros calibre. Et on n’avait pas à cette époque de 305 et de 420 ! Ils ne se fortifiaient pas en Alsace-Lorraine, sûrs de ne pas être attaqués ; ils ne faisaient fonds que sur leur esprit d’offensive.

J’ai été témoin, comme élève de l’Ecole de guerre en 1889-1891, et plus tard comme professeur, de ces époques fiévreuses, où les stratèges, les tacticiens et les sapeurs se jetaient à la tête les argumens et presque les injures. Quand nous parcourions la frontière et que nous visitions les grands forts, — ce Douaumont, par exemple, carapace de béton qui a résisté aux 305 ! — on était cependant impressionné mais on regardait les champs de bataille.

Tous nos généraux et tous nos officiers d’état-major avaient fréquenté les terrains de l’Est. Chaque année, les officiers de l’Ecole supérieure de guerre passaient plusieurs semaines à parcourir et à visiter les régions fortifiées et les champs de bataille. Le haut commandement y dirigeait de