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contre cette France, à la fois abhorrée et redoutée, dont elle sentait malgré tout l’irréductible honneur.

Et nous-mêmes, hommes politiques, soldats surtout, et toute la nation dans le secret de son âme, n’avons-nous pas été pour ainsi dire suggestionnés par cette hantise de l’armée allemande à nos portes, par le danger que recelait l’Alsace-Lorraine transformée en camp retranché, encore plus que par le désir de reprendre les deux provinces volées ? Au point que notre état-major, concentrant toute son attention et tout son effort sur la frontière du Nord-Est, n’attachait pas l’importance qu’il aurait fallu à l’évolution qui, avec le temps et les circonstances, se produisit dans les conceptions militaires et politiques de l’Allemagne. Evolution sur laquelle notre propre organisation militaire devait exercer pourtant une influence capitale, — comme nous allons le voir.

En effet, en même temps qu’elle reconstituait la force nationale et réorganisait l’armée, la République regardait avec clairvoyance cette frontière d’Alsace-Lorraine et comprenait qu’elle ne pouvait vivre et travailler en sécurité si elle n’opposait à l’invasion menaçante la barrière indispensable. La frontière militaire qui avait survécu à 1815 était détruite. Le traité de Francfort, a-t-on dit, était un chef-d’œuvre de destruction, qui complétait le traité de 1815. Pouvait-on refaire une nouvelle frontière militaire ? La question se posa dès que le territoire fut libéré de l’occupation allemande. Thiers avait délivré le, pays en payant l’indemnité plus tôt que ne le pensaient Bismarck et de Moltke, il avait présidé aux premières lois de réorganisation de l’armée. Le maréchal de Mac-Mahon, en prenant la présidence de la République, comprit ses responsabilités militaires et chargea le conseil supérieur de défense, dont le maréchal Canrobert était président, de procéder sans retard à l’organisation défensive de nos frontières.

Le général Séré de Rivière était alors directeur du génie, c’est à lui qu’incomba cette organisation. Son nom n’est pas oublié. On l’a rappelé avec juste raison au cours de cette guerre. Car le système qu’il édifia a fait ses preuves. Verdun, Toul, Belfort sont toujours là, « pierres angulaires » contre lesquelles s’est brisée tout de même la ruée allemande ! Je voudrais qu’au lendemain de la guerre on élevât dans la citadelle de Verdun la statue de Séré de Rivière. Le pays lui doit une