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aux armes d’un cœur unanime. Cependant la France n’aurait pas provoqué la guerre pour recouvrer les provinces si injustement arrachées. Et l’Allemagne aurait pu continuer, l’arme au pied, son œuvre d’impérialisme, si elle n’avait pas trouvé dans la possession même de l’Alsace-Lorraine toutes les possibilités et les facilités de l’agression qu’elle méditait et qui devait lui assurer l’hégémonie du monde.

Regardons la carte, et qu’on juge si l’annexion de l’Alsace-Lorraine, avec Metz et Strasbourg, n’a pas eu un caractère encore plus militaire que politique.


II. — LA FRONTIÈRE DU TRAITÉ DE FRANCFORT

Le tracé imposé par l’état-major allemand, en 1871, avançait notre frontière de 1870 pour ainsi dire parallèlement aux deux branches de l’équerre qu’elle formait à angle droit, sur une distance moyenne de 40 à 60 kilomètres. Les crêtes des Vosges remplaçaient le Rhin face à l’Ouest, et une ligne, en apparence aussi conventionnelle que l’ancienne, coupait la Lorraine, face au Sud, entre les sources de la Sarre et la Moselle moyenne. Le gain territorial total était de 140 000 kilomètres carrés, avec une population de 1 600 000 âmes ; mais, en plus de la valeur politique et économique de la conquête, l’avantage militaire était tel qu’on peut s’étonner que l’Allemagne n’ait pas exigé davantage, et que, profitant de, l’épuisement de la France et de la surprise et de l’inertie des États européens, elle n’ait pas porté la frontière jusqu’à la Meurthe, peut-être même jusqu’à la Moselle, avec Nancy et Belfort.

On sait combien M. Thiers dut lutter pour conserver Belfort, il dut sacrifier en échange certains districts voisins du Luxembourg, auxquels les Allemands semblaient n’attacher qu’une valeur de troc, et dont on méconnaissait, au moins en France, l’avenir minier. C’est tout juste si l’on put préserver les mines de Villerupt. Les Allemands savaient déjà ce qu’ils pouvaient attendre pour leur industrie des minerais de fer lorrains de la région de Thionville ; ils tenaient également à avoir la maîtrise des chemins de fer luxembourgeois[1].

  1. Douze villages français furent ainsi sacrifiés, quoiqu’ils fussent compris dans la zone française, réservée par les préliminaires, en particulier Audun-le-Riche, Aumetz, Fontoy, Tiercelet, Hayange, etc.