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Voyons-le du moins s’approcher çà et là comme à tâtons de cette solution du problème. À la fin de son Ancien régime, nous lisons qu’après la première génération du mouvement philosophique, celle des Voltaire et des Montesquieu dont l’esprit reste sain (en dépit de leur préjugé classique), il en surgit une seconde dans laquelle l’équilibre mental n’est plus intact, celle des Diderot et des Rousseau. Et c’est ici l’avènement du mysticisme naturiste et sentimental extrême au gouvernement de l’opinion qui se trouve constatée d’un trait malheureusement trop fugitif. Puis, après qu’il a rappelé la thèse de Rousseau sur la bonté naturelle, Taine ajoute qu’autour de cette idée centrale se reforma la doctrine spiritualiste. Mais pourquoi, interrogerons-nous encore une fois, sinon parce que cette idée continue la tradition mystique des hérésies chrétiennes et rallie les esprits de disposition principalement émotive ?

Dans certaines notes rédigées par le patient travailleur de Menthon-Saint-Bernard en vue des Origines et plus tard imprimées par les siens, à la fin du deuxième volume de sa Correspondance, il constate que les Conventionnels se crurent toute autorité et tous droits pour modeler la vie de leurs concitoyens selon leur propre conception du bien absolu. Quelles sont, se demande-t-il alors, les racines psychologiques d’une telle infatuation ? Il fallait répondre à notre avis par l’orgueil de la délégation divine supposée. Taine répond seulement à demi, par l’orgueil tout court, par l’amour-propre, le désir de s’admirer, de s’attribuer du génie, de se croire en possession de la vérité et, par-là, supérieur aux autres hommes ; mais il ajoute enfin à ces mobiles assez banals celui de se poser en révélateur, en sauveur du genre humain : et ce sont bien cette fois les mots qui conviennent pour caractériser les pontifes de la religion de Rousseau. « Aujourd’hui encore, dans son club ou dans sa mansarde, ajoute l’historien, tel faiseur de projets politiques est heureux de se croire en possession de la vérité suprême : la conviction d’apporter au monde quelque panacée sociale le revêt à ses propres yeux d’une importance de prophète ou d’une vocation de Messie ! » Et voilà le vocabulaire qu’il faut choisir en effet pour traduire de semblables états d’âme !

Quelques pages plus loin, Taine discerne encore très nettement que la Déclaration des Droits a pris le caractère d’un document religieux au-delà de nos frontières, qu’elle a été