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avoir dit des douceurs aux dames, il en dit à la Nature et déclame, en périodes limées, à propos de Dieu.

Il fallait citer cette première psychologie du mouvement rousseauiste sous la plume de Taine pour en faire toucher du doigt les lacunes. Est-ce donc par la fréquentation des salons qu’on est conduit à faire des agneaux ses frères, à restaurer la conscience et la religion, — si tant est que Rousseau ait efficacement travaillé à de telles restaurations ? — François d’Assise fut-il donc un lauréat d’académies ? Non, un ressort plus puissant mille fois dans l’âme humaine, l’appétit mystique au service de quelque volonté de puissance, se révèle au xviiie siècle comme au xiiie à la source du Naturisme réveillé. Le dogme qui caractérise l’hérésie rousseauiste, l’affirmation de la bonté naturelle tend à proclamer de façon indirecte l’alliance de la Divinité avec l’homme du peuple sans culture. Or ce dogme-là, Taine n’hésite pas à l’expliquer également par l’influence des salons classiques, dans son Histoire de la littérature anglaise : « Cent cinquante ans de politesse et d’idées générales, écrit-il en propres termes, ont persuadé aux Français d’avoir confiance dans la bonté naturelle !  » Mais les salons brillent-ils donc par la bonté, d’ordinaire ? Célébrant ailleurs la perfection du dialogue, sous ces lambris dorés, Taine y entendait s’échanger de ces adjectifs « à deux tranchans qui égorgent un adversaire ! » Il ajoute que les classiques n’ont jamais conçu l’espèce humaine que comme cultivée ; c’est pourquoi l’enfant, l’artiste, le barbare, l’inspiré leur échappent. Peut-être, encore qu’à notre avis ils négligent plutôt ces catégories humaines comme peu dignes de leur intérêt parce qu’elles demeurent esclaves de leur affectivité débridée. Mais encore, les classiques, tout au moins les classiques chrétiens, savent-ils fort bien que la culture, et surtout la culture morale, ne fleurit pas aux origines : il a fallu des chrétiens hérétiques, qui n’avaient plus guère de classique que le masque, pour émettre et faire accepter du xviiie siècle cette idée de bonté ou même simplement de raison naturelles.

Avant de quitter l’Histoire de la littérature anglaise, empruntons-lui quelques-unes des affirmations décisives qui, plus de dix ans avant les Origines de la France contemporaine, annoncent l’inspiration dominante de cet ouvrage où nous les retrouverons à peu près sans retouches : réponse péremptoire d’ailleurs à ceux qui ont voulu faire naître uniquement des événemens