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Une nation sœur à sauver et un prestige séculaire à conserver aussi bien aux yeux de l’Europe qu’aux yeux du monde slave justifiaient la responsabilité qu’assuma le cabinet de Pétrograd, en présence du spectre inattendu de la guerre. Plus tard, de concert avec ses alliés, il a déterminé par des promesses d’agrandissemens territoriaux la Roumanie à se jeter à son tour dans la mêlée. Le rêve des patriotes roumains ne pouvait se réaliser qu’avec l’aide loyale et désintéressée de la puissance russe. Grouper tous les élémens ethniques répandus sur les deux versans des Carpathes en une patrie commune et faire d’une grande Roumanie une citadelle indestructible de la race latine aux bords du Danube inférieur, ce projet grandiose n’était exécutable qu’avec la coopération étroite des armées du Tsar. La première condition du succès était que ces armées eussent derrière elles un gouvernement résolu à tenir ses engagemens et à jouer franc jeu avec ses alliés comme avec ses adversaires.

Ce n’est pas le moment, je pense, d’accabler le tsarisme déchu, victime de la corruption invétérée de ses fonctionnaires et de sa résistance aveugle à d’indispensables réformes. L’impuissance et l’incohérence du gouvernement issu de la révolution, les folies et les fureurs des soviets, nous inclineraient plutôt à l’indulgence pour le dernier autocrate russe. Il a eu tout de même d’autres conseillers que Raspoutine. Ces ministres se rendaient compte sans doute du danger de lâcher la bride aux passions violentes et confuses qui agitaient l’immense corps social de la Russie, c’est pourquoi ils ont voulu résister à leur pression. Ils ont fait ainsi crouler l’édifice miné à sa base par la propagande occulte des révolutionnaires. L’avenir se chargera de les juger.

Dès aujourd’hui cependant, la publication des documens diplomatiques du Pont aux-Chantres, par les soins trop obligeans du soviet de Pétrograd éclaire d’un jour singulier l’esprit des conseillers du Tsar en ce qui touche la politique étrangère. On dirait que la diplomatie russe n’avait rien oublié ni rien appris depuis le temps de Pierre le Grand et de Catherine II. Toujours la folie de la grandeur, comme si l’Empire n’eût pas été déjà trop vaste, toujours le besoin d’annexer de nouveaux territoires, sans se préoccuper de les amalgamer et de les civiliser, toujours l’obsession de Constantinople et des Lieux-Saints. Plus instructive encore pour les confians alliés du Tsar