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très exagérées. Non moins fausse (malheureusement pour nous ! ) l’idée qu’on se faisait, dès cette époque, de la force militaire de l’Empire russe. N’avait-il pas eu besoin de la petite armée roumaine pour venir à bout de la Turquie ? Le Tsar, eût-il voulu réellement briser les nouveaux obstacles qu’il avait lui-même édifiés, pour pénétrer encore une fois jusqu’au Bosphore, aurait eu à compter avec l’hostilité unanime des Grandes Puissances, comme il l’avait éprouvé au Congrès de Berlin, et il aurait battu en retraite. Le testament apocryphe de Pierre le Grand devait rester lettre morte pour ses héritiers. Les occasions favorables s’étaient envolées, et la guerre actuelle a eu beau s’étendre à tout l’Orient européen, elle n’a pas rapproché les Russes de Constantinople.

Le roi Carol, dominé par ses sentimens anti-slaves, ne vit pas qu’un autre compétiteur à l’héritage de l’Homme malade commençait sournoisement l’investissement pacifique du Bosphore, où son influence politique et économique allait peu à peu primer celle de ses rivaux. Il ne paraît pas non plus s’être inquiété des desseins de plus en plus menaçans du cabinet de Vienne sur les Balkans et qui crevaient les yeux, depuis que le baron d’Aehrenthal avait montré son jeu en malmenant la Serbie. Il ne devina pas qu’enserrée dans les mailles de l’alliance austro-hongroise, la Roumanie ne serait sortie de la vassalité ottomane que pour tomber dans la vassalité de l’Empire dualiste.

Une amitié personnelle, dont il parlait trop volontiers, s’était nouée entre lui et l’empereur François-Joseph. Des relations intimes s’étaient établies entre la Cour de Bucarest et celle de Vienne, entretenues pendant les séjours que le ménage royal roumain faisait dans la capitale autrichienne. Préférence suspecte témoignée par le descendant d’une antique dynastie au chef d’une dynastie nouvelle, par l’autocrate d’un grand État au souverain d’une petite monarchie constitutionnelle ! N’est-il pas vraisemblable que la bonhomie paterne de François-Joseph a servi à maintenir le roi Carol dans son aveuglement ou dans ses illusions en ce qui concernait les projets de la maison de Habsbourg et les dangers qu’ils feraient courir à son pays ?

Il nous paraît aujourd’hui d’une politique tellement antinationale qu’elle en est incompréhensible d’avoir choisi précisément pour amie et pour alliée de la Roumanie, la Puissance