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l’Indépendance, les lauriers cueillis à Plevna, le prestige militaire qui entoura le nouveau royaume au berceau, consolidèrent la situation du Roi et fondèrent sa popularité.

L’origine de l’alliance austro-roumaine fut sans aucun doute la conduite du gouvernement russe envers son jeune et brillant frère d’armes de la guerre de Turquie. La Russie, au moment où son armée, entrant en campagne, se préparait à traverser le territoire roumain, avait solennellement promis d’en respecter l’intégrité. Au congrès de Berlin, afin d’étendre sa frontière jusqu’aux bouches du Danube, elle obtint que la Roumanie fût dépouillée de la partie de la Bessarabie qui avait été rétrocédée en 1856 à la Moldavie par le Congrès de Paris. Elle lui fit abandonner en compensation par le sultan la Dobroudja, pays peu cultivé, peu peuplé, plus turc que bulgare, mais possédant une étendue de côtes et des ports naturels, dont les nouveaux propriétaires apprécièrent plus tard l’utilité. Les exigences du cabinet de Saint-Pétersbourg n’étaient ni adroites ni généreuses. Il ne s’en tint pas là. L’altitude de son ministre à Bucarest, M. Hitrowo, envenima la blessure que le résultat matériel de la guerre avait laissée au cœur des Roumains. Hitrowo traitait leur pays, comme si c’eût été une satrapie russe. « Chaque fois qu’il avait une audience privée du Roi, me disait plus tard la reine Elisabeth, je tremblais. Qu’allait-il se passer entre eux ? » Ces procédés de maître à valet, on les vit employés à la même époque et avec le même insuccès à Sofia qu’à Bucarest.

En définitive, la guerre entreprise par la Russie pour l’émancipation des Slaves des Balkans lui avait fermé la route de Constantinople, en plaçant sur son chemin, derrière l’État roumain, un autre État, le bulgare, qui ne demandait qu’à vivre. Était-ce donc là tout le fruit qu’elle recueillerait de sa victoire ? On eût dit, dans les années qui suivirent, que le gouvernement du Tsar s’efforçait de retenir ces nouveau-nés dans son giron, pour compenser le service qu’il leur avait rendu à l’encontre des visées traditionnelles de la politique russe. De cette pensée et de l’indignation de se voir encerclés malgré eux dans la sphère d’influence que s’arrogeait la Russie sont venues aux Roumains la crainte et l’horreur du panslavisme. Jolies expliquent dans une certaine mesure l’acte de leur Roi. Leurs appréhensions, — l’avenir l’a bien prouvé, — étaient