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relations avec les Puissances étrangères à l’expérience de l’homme qui avait délivré le pays des liens dégradans du passé…

Curieux de tout ce qui survenait au dehors, aimant à en discourir, bien renseigné par ses agens diplomatiques et ses correspondans étrangers, le Roi faisait plusieurs fois par an aux chefs de mission accrédités à sa cour l’honneur de leur accorder une audience particulière. On était habituellement reçu à cinq heures du soir dans le sévère cabinet lambrissé de chêne où il travaillait. L’entretien se prolongeait parfois pendant plusieurs heures, jusqu’au moment où l’officier de service venait l’avertir que la Reine l’attendait pour dîner. C’étaient d’ordinaire des questions très précises sur le pays du diplomate soumis à cet interrogatoire bienveillant. Le Roi aimait toujours à parler de la Roumanie, des progrès qu’elle avait faits sous son règne et de ceux qu’elle avait encore à accomplir. Il abordait aussi la politique étrangère, discutait les événemens récens et les personnages en vedette, qu’il jugeait avec une certaine perspicacité. A la Belgique, pour laquelle il professait une sympathie particulière, il ne ménageait pas ses conseils. Pourquoi n’adoptait-elle pas le service militaire général et obligatoire, la meilleure école de patriotisme pour la jeunesse d’une nation ? Les Belges se trompaient gravement, s’ils s’imaginaient qu’ils resteraient encore une fois à l’abri d’une guerre éclatant entre leurs voisins. Le miracle de 1870 ne se renouvellerait plus. Le Roi n’approuvait pas l’annexion du Congo ; il ne comprenait qu’une union personnelle sous le même souverain, sans quoi la colonie entraînerait la métropole, malgré sa neutralité perpétuelle, dans des complications européennes. Mais, à se faire ainsi le prophète de mauvais augure, il n’allait pas jusqu’à désigner les convoitises excitées en Allemagne par notre domaine colonial, comme une cause possible du conflit dont il nous menaçait.

On a reproché surtout au roi Carol et à certains de ses ministres la lourde faute qu’ils ont commise en voulant lier dès 1883, au moyen d’une convention militaire, les destinées de la Roumanie à la politique suspecte de l’empire des Habsbourg et, conséquence inévitable, à la politique, plus inquiétante encore, de l’empire des Hohenzollern : pacte qu’aggravait son caractère occulte, accord clandestin, soupçonné seulement dans le public, au point qu’on disputait couramment sur son