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profit de l’Allemagne. Les nations de l’Entente ne peuvent voir en lui qu’un adversaire, ayant travaillé sourdement contre elles, avant de faire un suprême effort, lorsqu’il se sentait déjà touché par la mort, pour jeter son peuple dans les rangs de leurs ennemis. Qui sait même si la politique personnelle de son premier souverain parlant encore comme une voix d’outre-tombe à l’esprit hésitant des ministres roumains, n’a pas empêché la Roumanie de saisir le moment le plus favorable d’entrer dans la lutte à côté des Alliés ?

Bien pris dans sa taille moyenne, la barbe courte et grisonnante, les cheveux encore noirs et le teint coloré, le roi Carol, quand je l’ai connu, n’avait rien au premier abord de germanique, à part son accent, s’il s’exprimait en français, et surtout s’il parlait roumain. Avec ses ministres qui ne savaient pas l’allemand, c’est en français qu’il préférait s’entretenir. La reine Elisabeth, — Carmen Sylva en littérature, — était passionnée de poésie et de musique. Les hommes de lettres et les artistes étrangers, qu’elle aimait à recevoir, ont parlé avec une reconnaissance élogieuse de son affabilité, de son insatiable curiosité littéraire et de son talent d’écrivain. Avouerai-je qu’à mon avis ce qui séduisait le plus dans sa personne, c’étaient la bonté peinte sur sa figure et sa voix au timbre doux et musical, à rendre jalouse plus d’une diseuse de profession ?

Esprit réfléchi et avisé, le Roi a exercé une action dominante sur la politique intérieure de la Roumanie. Il l’a disciplinée, non pas à la prussienne, mais en s’inspirant au contraire du modèle britannique. Il s’est efforcé de lui imprimer une allure parlementaire. Autant que possible, il aurait voulu n’avoir affaire, comme son bon frère, le roi d’Angleterre, qu’aux deux partis classiques, le libéral et le conservateur, qui mettaient dans la conquête du pouvoir une ardeur et une âpreté, propres aux pays où les passions politiques n’ont pour aliment habituel que les questions intérieures. La constitution roumaine, modelée sur celle de la Belgique, est très libérale, mais elle a comme contrepoids un système électoral analogue au système réactionnaire prussien. Aussi tout gouvernement, en jouant avec maestria de la pression administrative, était-il assuré d’obtenir dans les deux Chambres des majorités importantes, voire parfois de quasi-unanimités. Cela n’était pas sans danger. Un cabinet qui se serait éternisé au pouvoir, comme