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hôtel de la rue Saint-Lazare en bordure de la forêt. Mais, loin d’en être accablé, l’enfant se fortifiait dans les travaux manuels. L’esprit, chez lui, a toujours porté la matière, a toujours tiré d’elle ce qu’il a voulu, l’a contrainte, en quelque sorte, à lui obéir en toute occasion. Il poursuivait son but avec une énergie indomptable. Il décomposait l’avion avant d’y monter. Il apprenait à le connaître par le détail.

Sa préparation à l’École polytechnique lui assurait une supériorité éclatante dans son milieu. Il pouvait raisonner les lois de la mécanique, expliquer aux camarades ébahis ce que c’est que la résultante de plusieurs forces et l’équilibre des forces, leur donner des notions inattendues de cinématique et de dynamique. Mais il apprit à son tour à connaître par les expériences de construction ou de réparations les degrés de résistance des matériaux d’aviation : bois, aciers, fils d’acier, aluminium et ses composés, cuivre, alliages de cuivre, tissus Il vit construire les ailes, ces fameuses ailes qui l’emporteraient un jour dans l’azur : longerons en frêne ou en hickory, nervures en bois léger, croisillonnage intérieur en corde à piano, entoilage, haubanage. Il vit assembler ces élémens à tenon et mortaise, fixer les fils tendeurs, emboîter l’extrémité des mâts, rattacher enfin toutes les parties de l’avion, ailes, gouvernails, moteur, châssis d’atterrissage au fuselage qui sera sa base de résistance. Comme un peintre broie ses couleurs avant de s’en servir, Georges Guynemer prélude à ses vols futurs en touchant de ses mains, — de ses longues mains fines et blanches d’étudiant riche, devenues hâlées et calleuses quand elles ne sont pas tout enduites de graisse ou de cambouis, devenues dignes d’être des mains ouvrières, — chaque pièce, chaque boulon, chaque écrou de ces appareils dont il attend la libération de sa volontaire servitude.

Un de ses futurs camarades, le sous-lieutenant Marcel Viallet (qui eut la gloire d’abattre un jour deux avions allemands en dix minutes, de sept balles) le représente ainsi à l’école de Pau : « J’avais déjà l’attention attirée par « cette fillette » habillée en tourlourou qu’on rencontrait dans le camp, les mains pleines d’huile de ricin, la figure maculée, les vêtemens déchirés. Je ne sais ce qu’il faisait à l’atelier, mais il ne devait pas y briller par sa présence. Tout le temps, nous le voyions tourner autour des zincs. Avec sa petite figure intéressée il nous