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le prétexte le plus futile, et il apportait dans sa façon d’être, dans ses relations avec ses camarades une franchise, une loyauté qui n’avaient d’égale que sa bonté. Bien souvent, au milieu de nos jeux surgissait quelque discussion. Quels sont les amis qui ne se sont jamais disputés ? Tous deux nous nous entêtions au point de nous battre parfois, mais après, il abandonnait le vain amour-propre d’avoir le dernier mot. Il n’aurait pu supporter de faire du tort à ses condisciples. Jamais il n’a hésité à s’accuser d’une faute commise ; bien mieux, un jour que l’un de ses camarades, bon élève, avait par inadvertance fait une bêtise qui aurait pu nuire à ses notes, j’ai vu Georges aller s’accuser et subir une punition à sa place ; son camarade n’en a jamais rien su, car ces actes-là, il les accomplissait presque clandestinement, avec cette simplicité et cette modestie qui ont toujours fait le charme de son caractère. »

Ce sentiment de l’honneur, il l’avait sucé avec le lait maternel. Son père l’avait exalté en lui. Tout en lui respire la fierté : le port de la tête redressée, le regard des yeux noirs qui semble traverser les objets. Il aime cet uniforme de Stanislas que son père a porté, qu’ont porté Gouraud et Baratier dont la renommée, alors, grandit, et Rostand, alors dans toute la neuve gloire de Cyrano et de l’Aiglon. Il a un sens précis de sa dignité. S’il écoute avec attention le cours, jamais il ne consent à demander des renseignemens ou des conseils à ses condisciples. Il déteste la moquerie et entend qu’on le respecte. Jamais une pensée basse n’est entrée en lui. Un silence suffit parfois à le redresser s’il atteint son fond de noblesse native.

Physionomie mobile et à contrastes, il est tantôt l’espiègle qui secoue de rires toute la classe et l’entraine dans un tourbillon de jeux et de tours, tantôt l’élève lointain, sérieux, réfléchi, que l’on trouve absorbé, que l’on déclare distant, qui ne se révèle plus à personne. Le farouche soldat de la petite guerre est aussi un joueur d’échecs d’une redoutable puissance de combinaison. Là, il devient patient, et ne déplace ses pièces qu’après mûre réflexion. Aucun élève ne peut lutter avec lui. Nul ne le peut surprendre. S’il est battu par un professeur, il n’a de cesse qu’il n’ait obtenu sa revanche. Il a une volonté au-dessus de son âge, et cette volonté a besoin de brusques détentes… Suivre une classe et même se placer à sa tête ne