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— Après tout, mieux vaut trop tôt que trop tard. Mets ton chapeau. Je t’emmène.

Il le conduit chez le coiffeur.

— Moi, je me fais couper les cheveux. Si le cœur t’en dit ?

— Je veux faire comme les hommes.

On asseoit l’enfant sur un tabouret. Dans le peignoir blanc, averses cheveux bouclés, il ressemble à quelque ange des primitifs italiens. Son père, un instant, se prend pour un barbare, et le coiffeur s’arrête, ciseaux en l’air, comme devant un forfait. Ils échangent un signe d’intelligence : le père s’est raidi, il a donné l’ordre. Et les belles boucles tombent.

Mais il faut rentrer au logis. La mère de Georges, le voyant, verse des larmes.

— Je suis un homme, déclare le petit péremptoirement.

Il sera un homme, mais il restera longtemps un gamin aussi. Longtemps ? presque jusqu’à la fin, — à ses heures, jusqu’à la fin.

À six ou sept ans, il commence d’étudier sous la direction de l’institutrice de ses sœurs. Rassemblement commode, mais c’est une jupe de plus. La finesse de ses sentimens, cette crainte d’avoir blessé un camarade qui lui inspirera des gestes touchans, viendront de cette éducation féminine. Les promenades avec son père, déjà fort occupé de lui, provoqueront les réactions utiles. Compiègne enseigne l’histoire à chaque pas : des rois y furent sacrés, des rois y moururent. L’abbaye de Saint-Cornille y abrita peut-être le saint Suaire du Christ. Des traités y furent signés. Louis XIV, Louis XV, Napoléon Ier, Napoléon III y donnèrent des fêtes magnifiques. Et même, en 1901, l’enfant y put rencontrer le tsar Nicolas et la tsarine Alexandra qui y séjournèrent. Ainsi le palais, la forêt lui parlaient. Son père lui pouvait expliquer le passé. Et sur la place de l’Hôtel-de-Ville, il ne manqua pas d’être intrigué par cette jeune fille de bronze qui porte un étendard.

— Qui est-ce ?

— Jeanne d’Arc.

Les parens de Georges Guynemer renoncèrent à l’institutrice et, pour le garder près d’eux, ils le placèrent comme externe au lycée de Compiègne. L’enfant travaillait peu. M. Paul Guynemer, ayant été élevé au collège Stanislas, y voulut faire élever son fils. Georges avait alors douze ans. « Sur une photographie