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de lever l’immunité parlementaire qui abritait M. Caillaux et, implicitement, l’autre député disparu derrière cette personnalité puissante, et enchaîné à sa fortune par omission ou par prétention. C’est-à-dire qu’il ne s’agissait, dans le cas de l’affirmative, que de replacer M. Caillaux dans le droit commun. Un simple citoyen, le premier Français venu, eût été, sur les mêmes présomptions, appelé à comparaître devant le juge d’instruction : il n’y a rien, d’afflictif ni d’infamant à être un simple citoyen, le premier Français venu ; mais plus d’un talon rouge de la démagogie s’indigne d’être mis au régime du droit commun. L’immunité parlementaire levée, M. Joseph Caillaux n’est ni absous, ni condamné. Il, est en face de la justice, qui l’interroge et qui l’écoute.

C’est assez pour que nous fassions le silence sur son aventure. Le réquisitoire du général Dubail l’accuse d’avoir entretenu des relations suspectes avec Bolo et Almereyda, inculpés « d’intelligences avec l’ennemi,  » et d’avoir tenu à Rome des propos qui pouvaient provoquer la rupture de nos alliances. Légèretés, imprudences, et politique, répond-il. Sur le premier grief, il peut arrivera l’homme le plus sévèrement gardé qu’il se glisse dans ses relations un individu taré ou douteux : mais l’extraordinaire est que tout ce qu’il y a de taré et de douteux s’y rencontre, en France et à l’étranger. Depuis qu’une pierre dans la mare a fait lever l’affreuse volée des scandales, tous les cercles de l’eau sont allés se refermant autour d’un point central où se débattait toujours et s’enfonçait de plus en plus le même homme. Fatalité de la conception du gouvernement des bandes, dont on n’est le chef qu’en en étant le prisonnier ! Sur la seconde accusation, s’écarter de l’Angleterre, pour se rapprocher de l’Allemagne, renverser nos alliances et les retourner de la Manche aux Vosges, eût de tout temps été, à notre avis, une politique fausse, absurde et chimérique, qui supposait résolue une question insoluble par la paix, la restitution de l’Alsace Lorraine ; mais, jusqu’au 4 août 1914, cela pouvait s’appeler une politique. Depuis le 4 août 1914, cela a changé de nom, et c’est un crime d’État, parce que nul n’a le droit d’avoir sa politique contre la politique de son pays, lié par un système d’alliances et engagé avec ses alliés dans la guerre. L’évidence en brûle les yeux et en subjugue l’esprit à quiconque n’est pas atteint d’une vanité puérile, d’une mégalomanie morbide, d’une sorte de délire de Nabuchodonosor. Nous n’en dirons pas plus, et nous ne laisserons pas tomber de notre plume le terrible mot de trahison, quoique la trahison soit un poison subtil qui s’insinue et procède de mille manières. Ouvrir,