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même, après qu’une armée chrétienne a repris Jérusalem à « l’ennemi traditionnel du nom chrétien,  » tous deux, s’ils ne regrettent pas tout haut de n’y avoir point participé, s’en félicitent-ils au moins tout bas, suivant le vœu pieux du Corriere d’Ialia ; regardent-ils au moins le fait acquis sans eux et contre leur allié comme un fait bien et dûment acquis, irrévocable, perpétuel, et la Ville Sainte des chrétiens comme inviolable à jamais entre les mains, non des Anglais, ni des Anglo-Franco-Italiens, mais de la Chrétienté ? Les déclarations plus ou moins officieuses, plus ou moins inspirées, de la presse allemande et de la presse autrichienne sont loin d’autoriser à le penser. La Nouvelle Presse libre, de Vienne, dit : « Si regrettable que soit l’événement, cela ne changera rien à l’ensemble de la guerre. L’Autriche-Hongrie et l’Allemagne détiennent assez de gages pour rendre à la Turquie sa propriété. » Le Neues Wiener Tageblatt imprime en toutes lettres : « Les alliés de la Turquie pourvoiront avec leurs armes à ce qu’elle recouvre son bien. » Mais l’agence Wolff elle-même, écoutons-la. Ne dirait-on pas entendre la voix du chancelier Hertling, trempant dans l’onction du vieil homme du Centre catholique, du vieux philosophe, du vieux thomiste, les plans brutaux de Hindenburg et de l’État-major ? « Jérusalem est évacuée. En abandonnant la ville, on a voulu éviter qu’un sol vénéré par tous les peuples du monde qui croient en Dieu ne fût souillé par des combats sanglans. En outre, il n’y avait aucune raison de défendre une ville dont la valeur militaire est nulle. » Et cela irait à merveille, si tout à coup n’éclatait la palinodie, et si ces prémisses attendrissantes n’aboutissaient à la conclusion toute sèche : « Nos alliés savent que nous nous tenons à leurs côtés et que les succès actuels des Anglais ne règlent nullement le sort définitif de Jérusalem. »

Assurément, le sort définitif, et même l’occupation temporaire de la Ville Sainte, posent des problèmes difficiles. La population de Jérusalem est un amalgame extraordinaire. Sur ses 70 000 habitans, on compte 10 000 Musulmans, 45 000 Juifs et 15 000 chrétiens (dont Grecs orthodoxes 7 000, catholiques latins 5 000, Arméniens 1 000, protestans 700.) Ces diverses confessions chrétiennes ont trop souvent donné le spectacle de leurs dissentimens, et leurs rivalités, épousées par les nations, ont parfois déchaîné la guerre. Pour l’occupation, c’est une affaire de tact. Quant à l’avenir, nous verrons demain : la France a des droits à faire valoir et une mission supérieure à remplir. En attendant, on peut réduire à sa formule la plus simple tout le