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d’imagination se faisait en nous, ce travail inconscient qui consiste à dégager les grandes lignes, à s’élever du fait à la cause et de l’accident à la loi, à contempler le réel dans le miroir du vrai. C’est de ce travail imaginatif que procède la pièce de M. Porche. Donc, préparons-nous à entrer avec lui dans une forêt de symboles. Soyons d’ailleurs sans crainte : ce n’est pas une de ces obscures, muettes et mornes forêts du Nord, où naguère on tentait d’égarer le génie français, mais bien une forêt de chez nous où pénètrent l’air et la lumière, pleine de rayons de soleil et de chants d’oiseaux. Des symboles, mais d’un poète qui n’est, ne fut, ni ne sera symboliste. Des vers libres, mais d’une technique qui n’est aucunement vers-libriste. Même, j’ai tort d’employer ce vocable solennel et abscons de symbole, qui a servi d’étiquette à tant de conceptions nuageuses, abrité tant de balbutiemens prétentieux et couvert tant de drogues nuisibles ! M. François Porche ne fait aucune difficulté de recourir au vieux terme d’allégorie. Tout suranné et désuet que soit le mot, il n’en a pas peur. Il déclare en toute simplicité qu’il s’est proposé d’écrire une allégorie versifiée selon le goût et suivant la prosodie du XVIIe siècle. Cela est d’une belle crânerie. Et, puisqu’il a si galamment joué la difficulté, il méritait bien de gagner la partie.

Un premier acte coloré, animé, chaud de ton, grouillant de vie, où l’émotion monte dans un crescendo. Nous sommes sur la terrasse d’un parc à la française : en perspective ; arbres taillés, boulingrins, et miroirs d’eau. La nature disciplinée : architecture et paysage. Ce chef-d’œuvre d’ordre, de raison et de goût ne s’est pas fait en un jour. Des générations y ont travaillé, comme celle des Miron qui, de père en fils, sont les jardiniers du château. Ils sont, ces Miron, les enfans du pays, où on les a toujours connus, nés sur le sol dont la sève est montée en eux : ils ont dans leur esprit, dans leur manière de sentir et d’agir, comme ils ont dans leur langage la saveur du terroir. Ils sont faits pour ces champs, pour ces eaux, pour ces bois qui sont faits pour eux. Pourtant quelqu’un les commande, dont nul ne sait au juste qui il est, un certain Buc qui dirige les travaux, morigène les travailleurs, trouve à redire à toutes choses, moleste toutes gens. D’où vient ce Buc ? Ses origines sont mystérieuses. Du plus loin qu’on se souvienne, et cela ne remonte pas très loin, on l’a vu faisant de vagues métiers, dont il changeait au gré de l’occasion. Il s’est introduit dans la région sous la besace du colporteur. Comment s’y est-il implanté ? Comment s’y est-il, d’échelon en échelon, haussé jusqu’à ce poste d’intendant qui fait de lui, étranger, un maître, — et