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et les renouvelle ; si bien qu’encore que ce soit toujours le même fonds et le même enclos, à peine est-il reconnu de ceux qui l’avaient vu auparavant. » Voilà Saint-Amant : il ne cherche pas difficilement sa personnalité ; il se joue à la multiplier.

Il n’était pas un latiniste ; mais, depuis sa jeunesse, il était peintre et musicien très habile à toucher le luth mignard. Et il déclare : « Il est presque impossible de faire d’excellens vers, à cause de l’harmonie et de la représentation, sans avoir quelque particulière connaissance de la musique et de la peinture, tant il y a de rapport entre la poésie et ces deux autres sciences, qui sont comme ses cousines germaines… » Il écrivait cela au milieu du XVIIe siècle ; et c’était alors une telle nouveauté qu’on ne l’a point accueillie, fût-ce pour s’en moquer. Cette nouveauté, plus tard et bien après la mort de Saint-Amant, on l’a retrouvée et l’on a cru qu’on l’inventait. Il est peintre dans ses poèmes et, dans le poème de La Pluie, — la pluie après la sécheresse et qu’on attend comme richesse, — il est peintre hollandais :


Regarde, à l’abri de ces saules,
Un pèlerin qui se tapit…
Vois de là, dans cette campagne,
Ces vignerons, tout transportés,
Sauter comme genêts d’Espagne,
Se démenant de tous côtés…


Et, dans le même poème, attentif au son comme au dessin du paysage :


Que l’eau fait un bruit agréable,
Tombant sur ces feuillages verts !…


Il a imaginé, dans ses poèmes, des arrangemens de couleurs étranges et jolis, peint des éclairages qui ne sont pas dans les tableaux de Poussin, mais qui rayonnent dans les tableaux du Lorrain. Les musiques, parfois éclatantes, ont aussi des douceurs charmantes :


Paisible et solitaire nuit,
Sans lune et sans étoiles,
Renferme le jour qui me nuit
Dans tes plus sombres voiles.
Hâte tes pas, déesse, exauce-moi :
J’aime une brune comme toi.


Pour ses prouesses de poésie mêlée de peinture et de musique, il lui fallait un vocabulaire abondant, et qu’il s’est procuré par une