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1640, il a pris Turin ; quatre ans plus tard, il a remporté la victoire de Florens ; puis, s’il a dû lever le siège de Lerida devant le marquis de Leganès, il a battu les Espagnols à Valenciennes. Il avait trente-cinq ans à peu près, quand il partit pour l’expédition navale qui aboutit à conquérir les îles de Lérins : et il emmena Saint-Amant. Les exploits belliqueux de Marc-Antoine de Gérard sieur de Saint-Amant qui soudain se reprend au goût des aventures, ce n’est pas notre affaire ; mais son exploit de poète, ce fut alors ce Passage de Gibraltar, un « caprice » et l’une de ses inventions les plus merveilleuses. Les navires de l’ennemi et les navires de la France, avec leurs pavillons, leurs flammes, leurs sabords, avec leurs figures de proue, sirènes dressant hors de l’eau leurs poitrines de femmes, bêtes réelles ou fabuleuses, monstres de la terre ou de la mer, emblèmes singuliers et qui semblent avoir perdu leur signification dans les flots, devinettes extravagantes, sculptées rudement, peintes de couleurs vives, défilent, se heurtent, font sous le soleil de la splendeur et des vacarmes.

Ce n’est pas toute la guerre où l’on vit Saint-Amant : il était au siège de La Rochelle. Et ce n’est pas tout l’emploi qu’il a eu, dans le train du monde : en 1633, 1e maréchal de Créqui l’emmène à Rome, où il s’agit de diplomatie auprès du Pape. Je ne vais pas l’habiller en diplomate, bien sûr ! Mais enfin, quand Marie de Gonzague épousa le roi de Pologne, Saint-Amant fut agréé comme l’un des gentilshommes de sa chambre, avec brevet et pension. Il partit pour la Pologne et, sur son chemin, dans les Flandres, tomba aux mains des Espagnols, qui le tinrent prisonnier de guerre un peu de temps. A Varsovie, il eut les charges et l’air d’un personnage de la cour. Marie de Gonzague, qu’il a chantée, lui donna, le titre de conseiller d’État de la Reine et l’envoya même à Stockholm la représenter au couronnement de la reine Christine. Tallemant n’est pas sans avoir « ouï dire » qu’en cette ambassade, il « réussit assez mal : » mais on n’en finirait pas de démêler les malignités que Tallemant recueille et celles qu’il procure. Et Saint-Amant ne réussit pas si mal à Stockholm que la reine Christine ne l’ait retenu pendant une demi-année à sa cour de savans, de lettrés et de poètes.

Ses amis de France étaient, parmi les écrivains, les plus grands et aussi les plus honorables de l’époque, — et non des poètes crottés, des rimeurs de cabaret : — non ; c’étaient, par exemple, M. Corneille, son « rare ami, » qu’il loue en très beaux vers, d’avoir si noblement traduit l’Imitation de Jésus-Christ ; M. Samuel Bochart, un admirable